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lettre de Michel Aoun à François Mitterrand en 1989

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Suite à mon article d’hier, montrant Mitterrand accueillant des hors-la-loi à égalité avec le Président libanais en 1984, voici comment Mitterrand traite la légalité libanaise en 1989.

Cette fois, elle est représentée par Michel Aoun, Premier ministre d’un Cabinet exerçant les pouvoirs présidentiels à titre intérimaire.

Les Saoudiens prétendent imposer au Liban une nouvelle constitution made in Saudi Arabia. Pour cela, ils ont réuni à Taef, ce qui restait du Parlement élu en 1972, par la génération précédente — et qui n’est plus valide depuis 1976. Ils leur ont fait signer cet accord qui dépouille les chrétiens de tout pouvoir et, pire, légalise l’occupation syrienne d’une partie du Liban.

La Constitution libanaise a été violée une dizaine de fois pour rendre cela possible. De façon toute aussi illégale, les ex-députés élisent ensuite un Président en région sous occupation syrienne. Il n’est évidemment pas valide, à cause de ces violations de la loi et de la Constitution, que j’ai détaillées dans mon livre “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”. Mais c’est lui que Mitterrand a reconnu.

Dans une lettre écrite alors que ces événements sont encore récents, Aoun pense émouvoir Mitterrand en lui rappelant les manifestations du voile à Paris, et en lui disant qu’il y aura une confrontation entre l’islamisme et le monde occidental avant la fin du siècle. Voici leur échange épistolaire:

Lina Murr Nehmé, Du règne de la Pègre au réveil du Lion, Beyrouth 2009

Lettre envoyée par le Premier ministre libanais Michel Aoun au président François Mitterrand, le 29 octobre 1989

« Une défaite, ici, maintenant, ne sera pas sans conséquences, chez vous, demain. J’ai lu la semaine dernière que trois tchadors bouleversaient la France. Une des grandes affaires de notre siècle finissant sera, à n’en pas douter, la confrontation entre l’islam et la chrétienté. Il y aura dialogue, ou pas. Accepter la disparition du Liban, c’est se priver d’une terre où ce dialogue a été depuis longtemps plus qu’une réalité quotidienne, une culture constitutive…

« J’ai aujourd’hui un véritable problème de conscience. Vous avez, naturellement, été informé de l’essentiel des accords de Taëf. On me dit que la diplomatie française, comme celle de toutes les grandes puissances, est en faveur de leur mise en œuvre très rapide. J’ai fait savoir publiquement que je n’avais aucune objection aux plans de réforme politique qu’ils comportent. En revanche, quand je lis les textes complets et les formules censées s’appliquer à la restauration de l’indépendance libanaise, à la fin des occupations étrangères et à la définition des rapports futurs avec la Syrie, je suis profondément inquiet. Ai-je, encore une fois en conscience, après des années d’attente et de sacrifices, ai-je le droit d’accepter ces phrases qui consacrent le rôle de la Syrie, placent pratiquement tous les gouvernements sous son influence, donnent pour la première fois par écrit une justification à sa présence et à son action, avec uniquement pour son retrait des calendriers vagues et des engagements ambigus ? N’est-il pas légitime et indispensable que des précisions publiques, internationalement garanties, soient apportées à cet accord ? Actuellement, la Syrie peut interpréter ce texte comme elle le veut. Les Libanais sont désarmés. On me demande des gestes de compréhension. Ils ne peuvent être dans ce contexte que des gestes d’abandon…

« Vous connaissez les circonstances de la réunion de Taëf et les pressions exercées. Les députés présents à Taëf n’ont pas reçu l’investiture du suffrage universel depuis 1972. Aucun Libanais de moins de 40 ans n’a pu voter pour eux. Ces députés peuvent-ils vraiment engager l’avenir du Liban ? »

Réponse que Mitterrand dit avoir envoyée à Aoun

Le 10 décembre, Mitterrand déclara avoir écrit à Aoun que Hraoui, élu par un Parlement dissous, est légitime :

« La légitimité appartient au Président et au gouvernement issu du choix du Parlement, en application des accords de Taëf».

Qui était-il pour prétendre que dans une démocratie, la légitimité n’appartient pas au peuple, mais à ce qui reste du Parlement élu par la génération précédente, qui a empiété sur les prérogatives du gouvernement en négociant ce traité, et commis un crime de haute trahison en livrant une partie du pays à l’occupant ? L’Occident refusait aux Libanais des élections libres, car un Parlement représentatif aurait rejeté Taëf et mis les importations de pétrole en danger.

Lina Murr Nehmé
Extrait de “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”, (lettre ouverte à monsieur Sarkozy), Beyrouth, 2009

Fac-similé tiré du livre de Lina Murr Nehmé
“Du règne de la Pègre au réveil du Lion”, (lettre ouverte à monsieur Sarkozy),
Beyrouth, 2009


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Mitterrand et le petit Hitler libanais

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Massacre de Bmariam. Lina Murr Nehmé, 1984.

1er septembre 1983: commencement des massacres des chrétiens du Chouf au Liban, à l’anniversaire du début de la 2e guerre mondiale et des massacres de Pologne.

Une armée représentant quatre nations — américaine, française, anglaise et italienne — était là soi-disant pour aider les civils. En fait, c’était pour aider les civils palestiniens seulement. Quand il s’agit des civils chrétiens, Mitterrand argua la clause de non-intervention en-dehors de Beyrouth. Or à Beyrouth, les chrétiens n’étaient alors pas en danger d’être massacrés. Mais on savait qu’ils le seraient au Chouf, dès que les Israéliens se retireraient, car ceux-ci avaient laissé subsister deux armées, et il était évident qu’après leur départ, la plus forte des deux tuerait les civils de l’autre. Et la plus forte, c’était évidemment celle de Joumblatt, puisqu’il était l’homme des Syriens. En un jour, ses miliciens, quelques centaines, devinrent 2000, après l’entrée de soldats syriens et palestiniens au Chouf.

Les massacres du Chouf furent un nettoyage ethnique total, qui dura un mois. Tous les deux ou trois jours, il y avait un nouveau massacre. 60 villages furent ainsi nettoyés de toute présence chrétienne, alors que les chrétiens étaient majoritaires dans ce territoire. 60 Oradours-sur-Glane. Les églises furent brûlées ou démantelées, leurs pierres de taille étant utilisées pour construire les beaux murs des routes du Chouf. Les cloches disparurent durant des années pour empêcher les chrétiens, s’ils reconstruisaient leurs églises, de les faire sonner. Joumblatt, qui avait un goût artistique acéré, fit main basse sur les icônes des églises et des couvents pour orner sa maison. (Il les rendit sur l’intercession de hauts personnagesTrès longtemps après, les chrétiens survivants furent autorisés à rentrer chez eux et à reconstruire leurs maisons brûlées. Joumblatt avait réussi à se faire nommer ministre des réfugiés, et il exigea beaucoup plus d’argent pour ses druzes qui avaient squatté les maisons des chrétiens, que pour ces derniers, privés de leurs biens et des fruits de leurs arbres.

Entre-temps, le mal était fait. Les chrétiens n’ont reconstruit au Chouf que des résidences secondaires, n’osant pas y revenir. D’ailleurs, celui qui a fait sa vie en ville durant vingt ans ne revient pas s’installer en montagne.

Ce qui a initié la solution du contentieux est la montée du patriarche Sfeir au Chouf, dans les années 1990. Au Liban, la réconciliation se fait traditionnellement de la façon suivante: le tueur vient se livrer entre les mains de la famille de sa victime. C’est elle qui lui donne le pardon et le relâche, et il est en sécurité. C’est ainsi que se font les réconcilisations au Liban. Le patriarche Sfeir, lui, a marché sur la dignité des victimes, et il est tout à fait normal que Joumblatt dise tant de bien de lui. C’est ainsi que les dhimmis allaient autrefois se concilier leurs massacreurs, et Joumblatt aime qu’on se soumette à lui. Ne disait-il pas des maronites (ou des chrériens en général?) il y a quelques années: “C’est une mauvaise race”. Il se faisait filmer, et la vidéo a circulé. Voyant le pays scandalisé, il a dit que ce n’était pas fait pour être diffusé. Mais l’Occident n’a pas cessé ses relations avec lui.

N’a-t-il pas également appelé à tuer tous les druzes de Syrie parce qu’ils ne prenaient pas le parti de Daech et Nosra? Aucun homme, au Liban, n’applique le fascisme et le racisme à l’état pur, comme lui. Que gagne l’Occident à honorer un individu qui décrète l’extermination de tout un groupe humain sur base confessionnelle — et qui exécute cette sentence quand il en a le pouvoir? C’est lui qui, récemment, commettait un assassinat parce qu’un rival druze était monté au Chouf sans lui en demander la permission. Est-ce qu’un pays vous appartient du simple fait que vous avez exterminé ou déporté 60% de sa population? C’est un raisonnement hitlérien. Pourquoi l’Occident favorise-t-il des Hitler locaux?

Il est honteux que les chefs d’Etat occidentaux, connaissant tous ces crimes, aient continué à traiter avec Joumblatt, tout en sachant qu’en plus, il obéissait aux ordres de la Syrie. Quelques semaines après le génocide du Chouf, Mitterrand le reçut à l’Elysée, à égalité avec le Président de la République élu. Et il serra sa main tachée de sang chrétien. Il fit le même accueil à l’autre larron, Berri, qui avait envahi Beyrouth-Ouest, sans toutefois commettre de nettoyage ethnique.

Pour expliquer à mes amis la situation, il faut signaler que ces deux hommes ont été propulsés par Khaddam, le haut-commissaire syrien, en même temps que le Hezbollah, et à la même époque: en 1982-1983. Khaddam avait également des poulains chrétiens, et il a utilisé tout ce monde pour créer le chaos. Or c’est avec les hommes de la Syrie que l’Occident traitait, et avec eux seuls, au détriment de l’autorité légitime libanaise. J’ai fait il y a quelques semaines une conférence privée, enregistrée, sur l’histoire de la guerre du Liban. Elle est un peu longue, mais elle explique les choses de façon claire, en remontant au choc pétrolier de 1973, qui a causé la guerre du Liban.

Mitterrand a reçu Joumblatt et Berri à l’Elysée, à égalité avec le Président libanais, sous prétexte que ce dernier était chrétien. Mais au Liban, on ne dit pas “le Président chrétien”, on dit “le Président” tout court. Et quand on dit “Président”, on implique tout le pays et non une confession.

En faisant le contraire, en recevant deux hors-la-loi, chefs de milices confessionnelles, à égalité avec le Président légitime, Mitterrand a consacré dans les chancelleries et dans les médias la fable d’une division du Liban qui n’existait que dans son esprit, et qui a donné naissance au mot “libanisation”, alors qu’il n’y a jamais eu de division humaine sur le terrain. Il y avait seulement l’armée syrienne qui faisait occuper des parties du Liban par ses hommes de paille libanais interposés, en prétendant que le Liban était éclaté. Mais encore une fois, dans mes livres j’ai publié les preuves du contraire.

Ni Joumblatt ni Berri ne représentaient leurs communautés respectives. Les chiites dans leur majorité à l’époque, refusaient Berri. Et les meilleurs druzes refusaient Joumblatt. (Cf. le témoignage de l’un des druzes les plus considérables à cette époque, cheikh Farid Hamadé, que j’ai traduit dans mon livre “Quand les Anglais livraient le Levant à l’Etat islamique”, dans lequel je raconte l’histoire de la famille Joumblatt, entre autres. Il raconte comment Walid Joumblatt, après avoir massacré les chrétiens, a massacré des centaines de druzes qui lui étaient hostiles.) Si cela plaisait à Mitterrand de traiter avec des hors-la-loi impopulaires à l’exclusion des hommes populaires, c’est peut-être digne de son passé de collaborateur. Mais cela ne change pas la réalité de ces hommes et la haine que leur vouait alors le peuple.

En réalité, cela arrangeait les grandes puissances de prétendre que ce qui arrivait au Liban n’était pas une guerre d’extermination dirigée contre une nation, mais une guerre civile, un éclatement, une implosion. Ainsi pouvaient-elles laisser faire le massacre sans intervenir. Car il fallait satisfaire le roi qui avait voulu cette guerre et en avait financé l’essentiel: Fayçal d’Arabie. Et satisfaire les roitelets arabes qui faisaient aussi chanter l’Occident avec des contrats d’armement…

Tout cela se paie aujourd’hui. Les Israéliens savaient que les fedayine avaient commis des crimes contre l’humanité au Liban, puisqu’ils les ont alors publiés. Et ils les ont laissés partir sans jugement en 1982, parce que Mitterrand le voulait. Mais pourquoi poursuivre les criminels de guerre nazis après cinquante ans, quand ils les toléraient sur place, et qu’ils les avaient sous la main?

Et Joumblatt, n’avait-il pas commis des crimes contre l’humanité sous les yeux de la communauté internationale présente sur place? N’avait-il pas fait assassiner, égorger, tronçonner à la hache 3000 civils hommes, femmes et enfants? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de tribunal international alors, et il y en a eu pour le seul Rafiq Hariri, qui n’était alors même pas Premier ministre?

Toutes les horreurs qu’on voit arriver maintenant dans le monde en matière de terrorisme et d’islamisme, remontent à tous ces abandons. Moi, franchement, je suis au-dessus du nationalisme étriqué. Défendre la France, la Pologne, le Liban ou n’importe quel autre pays m’est égal, pourvu que la cause soit juste. Je ne raconte donc pas ces choses comme étant concernée personnellement, sauf en tant qu’être humain. J’étais là-bas, et j’ai entendu les récits et la détresse des réfugiés, j’ai vu la cruauté des massacres, et le mensonge des alliés. On ne peut pas, à moins de trente ans, être témoin de tout cela, et rester de glace. Sinon, on n’est pas un être humain, on est un monstre. Je connais des réfugiés du Chouf qui vivent depuis 1983 dans un local gouvernemental qu’ils squattent. Une famille qui vivait, père, mère, quatre enfants, dans une seule pièce sans fenêtre. Le père est mort. Des enfants sont partis. il y a des petits-enfants, et la femme que j’ai connue, devenue handicapée, est toujours dans cette chambre. “Pourquoi ne rentrez-vous pas chez vous? — Il n’y a pas de sécurité. Et les druzes qui ont habité dans ma maison durant 25 ans, ont beaucoup sali, il y a beaucoup de choses abîmées. Cela coûte trop cher de restaurer.” Ils auraient restauré au fur et à mesure s’ils étaient restés dans cette maison, mais venir restaurer, en une seule fois, les dégâts causés par d’autres durant 25 ans d’usage… l’Etat libanais ne donnait pas assez d’argent pour cela.

Les chancelleries savaient tout ce qui se passait au Chouf, et elles savaient que c’étaient essentiellement des armées étrangères. Pour les preuves, voir mes livres “Le Liban Assassiné” et “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”. Elles auraient pu sauver ces milliers de civils en démasquant les criminels. Elles n’ont pas bougé mais ont collaboré avec eux, n’étant pas humainement choquées, visiblement. La raison d’Etat? Est-ce que la raison d’Etat, concernant alors le pétrole et les contrats d’armement, mérite de voir mourir des milliers de civils tués à la hache, et de s’abaisser à serrer les mains au petit Hitler qui les a tués et de le recevoir à l’Elysée?

C’est en voyant l’humanité ainsi traînée dans la boue que j’ai pu, dès 1976, prédire que cette guerre se transporterait en Occident, et spécifiquement, en France. Car, quand on honore des Hitler chez le voisin, chez l’ami, on doit s’attendre à les voir débarquer chez soi, sous la même forme ou sous une autre, et sous un autre nom. Je suis bien désolée d’avoir eu raison: les mêmes stratégies utilisées par les Palestiniens contre le Liban sont actuellement utilisées en France, contre la France, les mêmes exactement. Il est vrai que les principaux financiers ont d’abord été les Saoudiens, en France comme au Liban, en Syrie et ailleurs.

J’écris cela alors que les bombes tombent au Sud, et alors qu’une nouvelle guerre peut être déclenchée.

Je comprends l’importance du pétrole pour l’Occident. Mais je crois que sa survie devrait être plus importante pour lui que son confort, ou même, son économie. Car le problème a quitté le domaine économique, il est devenu existentiel. On ne vend pas son bouclier, on ne vend pas sa poutre maîtresse pour faire du feu.

À l’occasion je publie pour la première fois une photo d’un tableau exposé en 1984, et fait pour commémorer le massacre de Bmariam, le 1er septembre 1983. Ne me demandez pas qui c’est: c’est inspiré par les horribles récits des réfugiés. A cette époque je voulais faire un tableau par massacre. Mais il y a eu trop de dizaines de massacres de chrétiens au Liban. J’ai abandonné l’idée après avoir fait quelques tableaux, dont celui-ci.

Lina Murr Nehmé,
1er septembre 2019, 36e anniversaire du massacre de Bmariam.

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