Archives de catégorie : Guerre du Liban

Le bébé qui criait sous les bombes à Beyrouth, 1978

Des Palestiniens, à Gaza durant les bombardements, célébraient un mariage et s’amusaient en chantant et dansant dans une cour. En regardant la vidéo, j’évoque nos rires sous les bombes durant la Guerre des Cent Jours à Beyrouth-Est. Nous faisions de la résistance en résistant à la peur.

Le premier soir, par exemple, et alors que les bombardements et les tirs étaient très serrés, je refusai d’arrêter de faire la vaisselle, ou de la faire à la lueur de la bougie pour plaire aux Syriens qui, postés dans la rue, à vingt mètres de notre immeuble, tiraient au fusil sur les fenêtres allumées.

La famille s’était réfugiée dans l’entrée, la partie la moins exposée de l’appartement.

– Lina, viens ici ! ordonna ma mère.

– Quand j’aurai fini ! criai-je. Je ne vais pas laisser la vaisselle sale pour leur plaire !

Ces messieurs étaient mécontents et tiraient. Ils voulaient forcer tout le quartier à éteindre ses lampes. Je réalisai que j’étais la seule à avoir gardé une lumière allumée quand l’un d’eux cria à un autre qui se trouvait de l’autre côté de la rue :

– Elle est encore là ?

– Oui.

– Tire !

Et il tirait encore, et encore.

L’inquiétude rendait ma mère folle. Elle cria :

– Freddy ! Dis-lui de laisser ce qu’elle fait et de venir ici !

Papa émit un ordre péremptoire qui n’admettait pas de discussion. Je me séchai les mains et je les rejoignis. Nous nous mîmes à parler de la guerre et des intentions d’Hafez el-Assad qui nous bombardait – ou plutôt de Khaddam, son ministre des Affaires Étrangères, qui décidait de tout dans cette guerre du Liban, parce qu’il était sunnite et favori des Saoudiens.

Les voisins du dernier étage descendirent avec leur bébé. Nous leur ouvrîmes.

– Nous pouvons nous asseoir sur votre palier ? demanda le voisin.

Il nous expliqua que des roquettes étaient tombées dans leur appartement.

– Bien sûr, dirent mes parents. Vous êtes les bienvenus.

Nous leur apportâmes des rafraîchissements, mais ils ne voulurent pas manger, disant qu’ils avaient déjà dîné. Nous laissâmes notre porte ouverte, et nous apportâmes pour eux des chaises. La voisine tint à porter sa fille sur ses genoux. Elle avait si peur qu’à chaque arrivée d’obus, elle criait en serrant sa petite fille dans ses bras. L’enfant, un bébé d’un an et demi, sursautait alors et pleurait avec désespoir. Sa douleur faisait pitié à voir. Craignant que cette petite ne soit traumatisée à vie, je me mis à crier : «Boum !» en riant et en tapant des mains et des pieds à chaque explosion. Ma sœur m’accompagnait.

La petite se calma peu à peu, puis sourit entre ses larmes. Bientôt, elle se prit au jeu et, sa mère s’étant calmée, elle oublia sa peur et se mit à rire aux éclats à chaque explosion.

– Comment pouvez-vous être aussi calme sous les bombes ? demanda son père au mien.

– Nous pourrions mourir d’une autre manière, répondit papa. D’un accident de voiture ou d’une crise cardiaque par exemple. Alors pourquoi me ruiner la vie en me faisant du souci ?

Ce n’étaient pas, comme en 2006 ou comme maintenant à Gaza, des obus de deux tonnes capables d’abattre un immeuble. Les Syriens ne pouvaient pas utiliser leur artillerie la plus lourde au Liban, car les Israéliens leur avaient fait savoir que les bombardements aériens au Liban étaient une ligne rouge qu’ils ne les laisseraient pas franchir. (En 1982, ils mirent leur menace à exécution en détruisant toute la flotte aérienne syrienne en moins d’une heure. Mais en 1990, ils violèrent leurs propres interdictions en autorisant les bombardements et l’occupation de tout le Liban par la Syrie, parce que les Américains le voulaient. Ils tenaient absolument à avoir Hafez el-Assad dans leur coalition contre Saddam Hussein.)

– Tant que vous restez assis dans ces endroits comme ça, il n’y a pas de risque. Ce genre de bombe frappe les humains et ne nuit pas à la solidité de l’immeuble. C’est pourquoi, malgré toutes leurs bombes, Beyrouth est encore debout. Autant qu’ils frappent les murs, notre immeuble tiendra. Les piliers et les plafonds sont en béton armé, faits pour supporter des pressions très élevées. Contrairement aux immeubles anciens dont le poids repose sur les murs qui peuvent s’effondrer si le mur est atteint, comme ceux du centre-ville.

Ma mère faisait les cent pas en égrenant son chapelet et en priant d’un air tragique. Voyant nos réjouissances, elle se mit à gronder :

– Comment pouvez-vous vous amuser ? Moi, quand un obus tombe, je me dis : «Voilà une famille privée de père. Voilà une mère privée de ses enfants. Voilà des enfants devenus orphelins.»

– Mais maman, protestai-je, c’est sur nous que les obus tombent !

Alors elle nous laissa tranquilles et poursuivit ses prières et ses lamentations en silence. Pour nous et le bébé, la soirée se poursuivit gaiement.

Comme il se faisait tard, la petite cessa de rire pour sucer son pouce avec des yeux somnolents.

– Nous allons monter, dirent les voisins.

– Passez la nuit chez nous ! proposa papa. Nous pouvons mettre pour vous un matelas dans l’entrée ; c’est bien abrité. Ou sur le palier si vous voulez plus de sécurité. Personne ne va prendre l’escalier d’ici demain.

– Non, dirent-ils. Nous allons monter dormir chez nous. Les bombardements semblent plus éloignés.

Après leur départ, nous restâmes un moment à raconter des histoires drôles et à nous moquer des politiciens et de l’ennemi. Puis nous allâmes nous coucher.

Cet été-là fut celui où je ris le plus de ma vie. Je pouvais alors être philosophe et rigoler, puisque les bombes tombaient sur moi. C’est quand elles tombent sur les autres que je vivais – et vis encore – dans une angoisse de tous les moments.

Sinon, nous autres, Libanais, nous savons vivre. Non seulement en rigolant ou en priant sous les bombes, mais aussi, en rendant le bien pour le mal. Nous allons jusqu’à rendre service à l’ennemi d’hier en courant à son secours. Lors du tremblement de terre qui a frappé les Syriens, les Libanais ont couru à leur aide, si nombreux qu’ils ont provoqué un embouteillage de minuit à Dahr el-Baïdar. Est-ce qu’un seul Libanais a alors protesté ?

Aucun.

Lina Murr Nehmé

Le Fatah-el-Islam et la bataille de Nahr el-Bared

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En 2006, dans un camp palestinien au Nord-Liban, le Nahr-el-Bared, l’organisation Fatah-el-Islam fit scission du groupe Fatah-el-Intifada, qui avait lui-même fait scission du Fatah de Yasser Arafat en 1983.

Le Fatah-el-Islam était une organisation palestinienne de type al-Qaïda ou Daesh, et comme elles, elle recrutait des djihadistes de partout et grandissait à toute vitesse. Son but déclaré était de libérer Jérusalem par l’islam, et en vue de faire le djihad contre Israël et le Liban, elle avait constitué un noyau d’État islamique, et appelait son chef émir, c’et-à-dire “commandeur”.

Les Américains et les Saoudiens étaient revenus à la même stratégie employée au temps d’Oussama Ben Laden : financer et aider des moudjahidine islamistes, dans le but de faire une guerre par proxy. En l’occurrence, ils voulaient les utiliser contre le Hezbollah. Ils aidaient et finançaient le Fatah-el-Islam, par l’intermédiaire de certains membres du gouvernement de Siniora. C’est du moins ce que dit un des ministres de ce gouvernement au journaliste Seymour Hersh.

L’argent venant à manquer, le Fatah-el-Islam braqua une banque et se servit. Les services de Sécurité intérieure, alors dirigés par le général Achraf Rifi, firent une descente dans un appartement d’une rue cossue de Tripoli, et arrêtèrent des membres du Fatah-el-Islam.

L’armée libanaise n’en fut pas informée, et elle ne prit pas de mesures spéciales. Le 20 mai, le Fatah-el-Islam égorgea dans leur sommeil vingt soldats libanais, dont un officier; certains d’entre eux furent éborgnés.

Le Premier ministre Siniora, qui soutenait le Fatah el-Islam, ne voulait pas que l’armée libanaise attaque le camp de Nahr el-Bared. Mais l’armée alla camper autour de ce camp, et mit une semaine à en évacuer les civils, même ceux de l’ennemi. Elle eut deux morts et plusieurs blessés. Les Palestiniens eurent encore plus de morts dans l’opération, car les terroristes tiraient sur eux davantage que sur les Libanais.

La bataille fut très longue et très difficile avec, chaque jour, des révélations d’épouvante. Trois mois plus tard, le 3 septembre, les soldats rentrèrent après avoir perdu cent soixante-huit compagnons dans la bataille. Et Israël put se réjouir, parce que si l’armée libanaise n’avait pas gagné cette bataille, le Fatah-el-Islam aurait rapidement été dans tout le Liban, et combattant à la frontière d’Israël.

Après tant d’angoisse, les soldats libanais reçurent de la population de ville en ville, et même sur l’autoroute, un accueil tel… qu’ils mirent plus de dix heures à traverser les 84 km qui séparent Tripoli de Beyrouth.

Lina Murr Nehmé, 3 septembre 2019

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De Gaulle et le Liban

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On peut aimer ou non certaines actions politiques du général de Gaulle. Mais on ne peut nier sa stature politique et morale, à laquelle ne peut se comparer celle d’aucun de ses successeurs. Je ne parle pas seulement du fait qu’il utilisait sa vaisselle personnelle quand il ne recevait pas des officiels, afin d’être sûr de ne pas ébrécher la précieuse vaisselle payée par le contribuable français. Je ne parle pas seulement du fait qu’il refusait de faire payer à l’Etat sa note de gaz… et le reste. Je parle aussi de sa politique envers le Liban, auquel il a donné son indépendance, ce que n’avaient pas fait ses prédécesseurs, malgré la convention faite avec les Libanais en 1919-1920. Car le mandat français a été demandé par les Libanais pour être protégés des Arabes et pour avoir le temps de se constituer une armée et des institutions modernes permettant de résister aux appétits des voisins. 

Qu’ont fait du Liban les successeurs de De Gaulle, qui, après le choc pétrolier de 1973, ont tout fait pour obtenir l’amitié des potentats saoudiens? Et pour ces derniers, vous le savez, la charia prime. Et il est illégal d’après la charia, qu’un chrétien gouverne un musulman. Donc les chrétiens du Liban devaient perdre tout pouvoir pour que la charia soit appliquée. Ce fut l’origine de la guerre du Liban. Et si elle est si compliquée, c’est parce que les Libanais ne se sont pas laissé faire. La guerre qui commença le 13 avril 1975, le même jour que celle du Cambodge, aurait dû se terminer en une semaine, comme celle du Cambodge. Mais elle dure encore. Car c’est une guerre des coulisses qui se fait en Arabie. C’est pourquoi c’est la mort de Rafic Hariri le Saoudien, qui libéra le Liban de l’occupation syrienne, et non la mort d’Hafez el-Assad. Et c’est pourquoi aussi, le départ des Syriens ne changea rien à l’état du Liban. Et on vous dit: “Ça, c’est le Liban.” Non. Ça, ce n’est pas le Liban. Ça, c’est ce qu’en ont fait la volonté saoudienne et la veulerie occidentale.” 

Vous verrez la différence le jour où la famille Saoud tombera. Et ce jour est proche.

Lina Murr Nehmé, 21 juillet 2019

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Daech : Etat ou organisation ?

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Un tribunal daechi.

Un lecteur m’écrit avoir lu que l’Etat islamique n’était pas un véritable Etat, mais une organisation, un proto-État. Depuis des années, en effet, les journaux et les politiques ont colporté l’expression “organisation Etat islamique”. Comment l’histoire, avec le recul des années, pourra-t-elle appréhender cet objet politique ? Voici quelques éléments de réponse.

Cette affirmation selon laquelle Daech ne
serait pas un Etat est une contre-vérité. Les autorités qui produisent
cet élément de langage savent parfaitement que Daech, “Etat islamique en
Irak”, puis “Etat islamique en Irak et à Cham (Liban, Syrie, Israël,
Jordanie)”, avant de s’appeler “Etat islamique” tout court, a tout d’un
Etat. Contentons-nous d’une définition classique et reconnue de l’Etat:
un être artificiel puissant, un Léviathan, capable d’assurer la paix et
la sécurité des individus qui lui ont prêté allégeance ou qu’il a
soumis (Hobbes).

Rappelons simplement que Daech :

– perçoit des impôts
– édicte et fait respecter ses lois
– entretient des tribunaux et des juges (photo)
– gère une administration et toute une infrastructure (routes,
hôpitaux, importations et exportations, production et raffinage de
pétrole)
– bat sa monnaie
– dispose de journaux et de chaînes de télévision
– rémunère ses fonctionnaires, ses écoles, sa police, son armée
– produit une idéologie structurée fondée sur un droit dont elle se réclame.

Si, dans ces conditions, Daech n’est pas un Etat, alors qu’est-ce qu’un
Etat ? (sachant qu’en reconnaissant à Daech ce statut d’Etat ne revient
pas à le louer.)

Pourquoi nier une telle évidence ?

Si
les puissances occidentales ont répandu ce mensonge, c’est que cela leur
permet de soutenir Daech contre l’Etat syrien, et de faire passer le
conflit qui a ravagé la Syrie pour une guerre civile, alors qu’il s’agit
d’une guerre d’invasion. Cette invasion, ces puissances occidentales
l’ont observée sans intervenir, quand elles ne l’ont pas aidée
financièrement, matériellement, diplomatiquement. Elles ont ainsi laissé
tranquillement Daech l’Irakien traverser le désert, passer la frontière
et commencer les massacres en Syrie.

Il en est de même de
Nosra, issue de Daech, implantée en Syrie par la volonté et avec
l’argent de Daech. A ce titre — et même si elle s’est coupée de son
organisation mère dans le but de s’enrichir et de fonder un jour son
propre califat — Nosra, elle aussi, est un envahisseur étranger, envoyé
par Daech pour préparer en Syrie un terrain favorable à une annexion par
Daech.

L’article que l’on me cite dit que Daech ne peut pas
battre monnaie. C’est faux: il bat monnaie. Délivre-t-il des papiers
d’identité ? Bien sûr: pourquoi ces jeunes djihadistes brûlent-ils leurs
papiers français, sinon parce qu’on leur a donné ceux du califat ? Eux
ne disent pas “Etat islamique”, ils disent tout simplement “l’État”.

Quant aux frontières internationalement reconnues, elles sont tacites: quand les grandes puissances interviennent contre la Syrie si elle dépasse une certaine ligne dans sa guerre contre Daech, il est évident qu’il s’agit de faire respecter une frontière dont on a convenu par un travail diplomatique, un peu comme les limites décidées lors des discussions entre Roosevelt et Staline à Yalta, ou comme la partition du Liban décidée en 1973-1974 (le plan Kissinger), qui a fini par échouer, parce que le peuple libanais ne s’est pas laissé faire.

Lina Murr Nehmé, 11 mars 2019

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Du bon usage de la gifle

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Miliciens nassériens à Beyrouth, pendant les “Evénéments de 1958”, improprement appelés “guerre civile” par la propagande. Photo : Getty

J’ai raconté jeudi dernier (31 janvier) la scène que mon père m’avait faite parce que je m’étais exposée face à des miliciens armés.

Mais mon père avait fait pire en son temps. Durant la prétendue guerre civile de 1958, les étudiantes qui habitaient près de chez nous n’osèrent pas prendre les transports en commun pour rentrer de l’Ecole Normale, en région ouest, à Achrafié, Sin el-Fil, etc. Mes parents en bourrèrent la voiture. Les voitures de mes parents devaient être extensibles, quand je pense au nombre de passagers qu’ils réussissaient à y fourrer. Nous nous asseyions sur les genoux les uns des autres, ce qui fait que dans une VW coccinelle, nous pouvions être 6 ou 7, dépendant du nombre de bonnes ou de cousines qui montaient avec nous. Un jour, nous étions allés à Baalbek à 17 dans une voiture, il est vrai, américaine et décapotable, mais disposant de 5 places seulement. Il n’était évidemment pas question de ceintures de sécurité.

Ce jour-là, donc, où aucun de nous n’était avec eux, mes parents avaient fourré dans leur voiture toutes les étudiantes de l’Ecole Normale qui avaient demandé à ma mère de les prendre avec elle. Ils avaient été arrêtés à un barrage de gens de Nasser, qui comprenaient des Palestiniens et des Syriens. (Car durant cette prétendue guerre civile entre libanais, il y eut beaucoup plus de morts palestiniens et syriens que libanais.)

Les miliciens du barrage refusèrent de les laisser passer, je ne me souviens plus pourquoi, peut-être parce qu’il y avait des musulmanes parmi les filles et qu’ils ne voulaient pas qu’elles aillent en quartier chrétien.

Mon père cria des injures et dit: “Frère de p… ! Ce n’est pas vous qui m’empêcherez d’aller chez moi.” Il descendit à toute vitesse, gifla le milicien le plus proche de lui si fort qu’il le fit tomber, remonta en voiture, démarra à quadruple vitesse et força le barrage. Ils leur tirèrent dessus, mais ne réussirent à atteindre aucun d’eux. Tout ceci, sachant que ma mère était enceinte de mon frère Kamal, à son neuvième mois.

Les jours suivants, la famille appela mes parents en leur disant de fuir à la montagne : on pensait que le quartier chrétien allait être envahi par les gens de Nasser. Mes parents refusèrent, et pendant que les batailles faisaient rage, ils mettaient un 78 tours, la “Petite Musique de Nuit” de Mozart, assez haut pour couvrir le bruit des combats, et ils me faisaient danser. J’avais près de trois ans. Ils me firent tellement danser sur cette musique durant ces combats que le disque en fut tout rayé.

Quand, à l’âge de quatorze ans, je me mis à explorer la discothèque de mes parents, je tombai sur ce disque. Je le posai sur le tourne-disque, et au milieu des bruits de fond et des rayures, je reconnus une musique familière. Mais je n’appris l’histoire de la danse que des années plus tard.

Lina Murr Nehmé, 3 février 2019

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George Bush a tué le Liban pour pouvoir tuer l’Irak

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Je suis une historienne, je refuse de mentir au sujet des morts.

George Bush père a tué le Liban pour pouvoir tuer l’Irak. Il a autorisé l’invasion de la région libre du Liban, celle qui avait résisté 17 ans parce qu’elle ne voulait pas se livrer à l’ennemi. Et pour la première fois dans l’histoire, le réduit chrétien a été envahi. La photo montre l’honorable spectacle des troupes syriennes, occupant Baabda, le palais présidentiel libanais, sur les ordres de deux hommes : Abdel-Halim Khaddam, vice-Président syrien, ministre des Affaires Etrangères et responsable de tout le dossier libanais, et Moustapha Tlass, ministre syrien de la Défense.

Cette occupation a eu lieu parce que Bush tenait à rallier Hafez Assad contre Saddam Hussein. Mais le plus criminel des deux était Hafez et non Saddam ! C’est Hafez qui avait sur les mains le sang du Liban, alors que Saddam n’avait presque pas combattu au Koweït. Car les Koweïtiens ne voulaient pas de cet émir, comme le prouve le fait qu’il ait dissous le parlement, aboli le système parlementaire et privé les Koweïtiens d’élections. Si les Koweïtiens l’avaient aimé, ils l’auraient défendu comme les Libanais ont défendu leur gouvernement à l’époque.

Crime mis à part, Saddam et Hafez étaient des frères jumeaux, et régnaient au nom du même parti Baas, chacun représentant une minorité qui régnait sur la majorité et exerçait une dictature féroce. Et Hafez avait déjà occupé une partie du Liban à l’époque. Si Bush avait vraiment voulu rétablir la justice, il aurait ordonné aux troupes de Hafez de sortir du Liban avant de dire à celles de Saddam de sortir du Koweït. Surtout que, comme je l’ai dit, les Koweïtiens ne voulaient pas de cet émir, et qu’ils ne sont pas allés le recevoir dans la rue quand il est revenu.

M. Macron a l’âge de mon fils, mais contrairement à ce dernier, il ne connaît pas l’histoire récente. Il ne sait pas quel criminel George Bush père était, ni ce qu’il a fait au Liban et à l’Irak, ni la famine qu’il a imposée à ce pays, ni les bombardements de civils. Moi, je connais tout ça parce que j’ai écrit des livres sur la guerre du Liban et sur cette période en particulier. Et parce que j’écris en ce moment un livre sur la guerre d’Irak. Si deux hommes sont responsables de la montée de Daech, ce sont bien les deux Bush, père et fils.

George Bush, père et fils, ainsi que leurs proches, notamment James Baker, étaient téléguidés par la soif du pétrole. Ils travaillaient dans le pétrole. Du moins le père, qui avait une société de pétrole, ce qui l’avait amené à être l’ami du roi d’Arabie. Je ne sais pas ce qu’il a fait de sa société de pétrole après être devenu Président. Mais c’est par elle qu’il s’était enrichi. Son milieu et celui de son fils au Texas, celui de leurs amis, est celui des sociétés de pétrole. L’invasion de l’Irak était due au pétrole et à rien d’autre : Bush voulait contrôler les cours du pétrole, et Saddam était le seul qui refusât de plier. Ce dernier avait besoin d’argent pour restaurer le pays après la terrible guerre menée contre l’Iran, guerre dont les Américains n’ont pas hâté la fin (ce qui augmenta le nombre de victimes, et maintint Khomeiny et les mollahs au pouvoir), parce qu’ils ne voulaient pas voir Saddam gagner, justement.

George Bush père a condamné l’Irak à la plus horrible des guerres, et c’est des malheurs de l’Irak qu’est né Daech. Car l’Irak était un pays laïque, où les chrétiens étaient très bien traités. Les grands massacres de Saddam ont surtout eu lieu après cette guerre américaine, parce que George Bush avait appelé les chiites et les Kurdes à la guerre civile. Ils ont répondu à ces appels, mais Bush ne les a pas aidés, et ils ont été massacrés.

Sachant tout cela (mais ce n’est pas le millionnième de ce que je pourrais dire), je trouve ridicule ce tweet d’Emmanuel Macron:

Un grand dirigeant ? En matière d’envergure, oui. Il a été l’homme le plus puissant de l’histoire, et le seul à donner des ordres à toute l’humanité : il n’y avait alors plus qu’un seul bloc, et tout le monde s’est soumis à lui.

Mais parler de soutien de l’alliance avec l’Europe ? Alliance unilatérale : il a obligé les chefs d’Etat d’Europe à entrer dans une guerre que leurs peuples refusaient — ou auraient refusée si on leur avait dit la vérité.

Pour connaître les dessous des relations entre la famille Bush et la famille Saoud, ainsi que les affaires de pétrole des Bush, lire : House of Bush, House of Saud de Craig Unger.

Concernant la guerre d’Irak, je recommande les rapports des organisations humanitaires.

Concernant l’occupation syrienne du Liban en relation avec la guerre d’Irak, je recommande la lecture de Chronique du Liban rebelle (Grasset, 1991) de Daniel Rondeau.

On pourra aussi trouver des documents dans mes livres Le Liban assassiné, Du règne de la Pègre au réveil du Lion, et Les Otages libanais dans les prisons syriennes.

 

Je signale que les deux premiers de ces livres étaient des “lettres ouvertes à monsieur Sarkozy”. J’avais compilé ces documents pour convaincre le gouvernement français de changer de politique au moment de l’avènement de M. Sarkozy, et j’ai expédié par bateau des exemplaires des deux premiers à tous les députés français ; j’ai même payé pour que des gens, en France, les mettent dans les boîtes aux lettres de ces députés. Maintenant, je me dis que j’ai perdu mon temps et mon argent. Je note que la première députée à m’avoir répondu — aussitôt que le livre était arrivé — était madame Taubira. Elle avait répondu si vite, en trois lignes stéréotypées, que je me suis dit qu’elle n’avait même pas eu le temps de le feuilleter, a plus forte raison de le lire.

Mais lit-elle seulement ?

Lina Murr Nehmé, 2 décembre 2018

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Les Etats sont des remparts

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“Regarder comme un temps de paix, le temps où par la prise de toutes les places qui nous environnent, il s’aplanit un chemin pour venir à nous, c’est folie” disait Démosthène aux Athéniens (1) qui, selon lui, avaient été vendus par leurs politiciens pour de l’argent.

Que dirait-il aux Américains, aux Français, aux Anglais, qui cèdent (vendre n’est pas joli) des pays, des nations, des populations pour du pétrole qui pue, ou pour des contrats ?

Si les peuples de ces démocraties étaient informés des véritables enjeux, s’ils connaissaient le rapport entre les souffrances des populations dont ils voient les cadavres à la télévision, et ces marchés juteux, est-ce qu’ils accepteraient les plaisirs de la vie moderne… à ce prix ?

Ceci en sachant que la chute des pays, ce sont des remparts qui tombent. La chute de l’Irak a amené la montée de Daech. Qu’amènerait la chute de la Syrie ou du Liban aux mains des islamistes ?

 

Lina Murr Nehmé, 1er octobre 2018

(1) Démosthène, Philippiques, III, traduction par l’abbé d’Olivet, Lyon, Amable Leroy, 1812.

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Le général Aoun et l’histoire du Liban

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Photo : Denis ALLARD/AFP

Je ne suis pas d’accord avec tout ce que dit le général Aoun. Mais il est indiscutable que lorsqu’il met Daech et Nosra sur la balance, comme il a fait dans l’interview du Figaro (23/09/2018), il montre le vrai fond du problème.

Dans la même interview, il signale qu’il a changé le haut-commandement de l’armée libanaise. Le lecteur occidental peut ne pas réaliser ce que cela signifie : c’est en effet la première fois depuis l’occupation syrienne (1990) que le haut-commandement de l’armée libanaise n’est pas nommé par les puissances étrangères. Dans un entretien avec les enquêteurs internationaux dont l’enregistrement a été publié par la chaîne de télévision NTV, le ministre de la Défense Elias Murr, ignorant qu’il y aurait des fuites, s’était laissé aller jusqu’à dire au sujet de Michel Sleimane: “Vous croyez qu’ils l’ont choisi parce qu’il était le meilleur choix pour l’armée? Non, ils l’ont choisi parce qu’il était le pire.”

Après lui, Kahwaji, espérant devenir Président parce que maronite, et n’ayant pas la puissance populaire qui lui permettrait de le devenir par “ses propres muscles” comme on dit au Liban, a littéralement livré les soldats libanais à Daech en 2014, en acceptant de retirer l’armée libanaise d’Ersal et de laisser les terroristes partir “avec” les dizaines d’otages de l’armée libanaise et des forces de sécurité intérieure qu’ils détenaient.

D’où l’égorgement du soldat sunnite Ali Sayyed, dont l’horrible martyre, diffusé par vidéo, a poussé des jeunes à brûler le drapeau de Daech sur une place de Beyrouth. Suite à quoi le ministre islamiste Achraf Rifi a demandé pour eux “la prison et les peines les plus sévères”. Ce qui m’a poussée ce jour-là à brûler le drapeau de Daech par défi envers cette décision de Rifi: qu’il me mette en prison avec les jeunes ou qu’il les laisse tranquilles. L’opinion publique libanaise était tellement dégoûtée que mon geste était attendu et a provoqué une vague mondiale de brûlage du drapeau de Daech. Les musulmans m’ayant défendue (sauf les islamistes, bien sûr), je suis restée en vie, je ne suis pas allée en prison, les jeunes non plus, et c’est Achraf Rifi qui n’a plus eu d’existence politique à l’échelle nationale. Et il n’en aura qu’en cas d’invasion du Liban.

C’est en connaissant ce climat et en sachant comment les soldats libanais ont été trahis qu’il faut voir l’importance du changement du haut-commandement militaire au Liban. Car aussitôt Aoun arrivé au pouvoir et le commandant en chef changé, l’opération contre Daech a pu être faite et menée très rapidement à bout.

Le gouvernement libanais refusant de parler avec le gouvernement syrien, le Hezbollah avait été l’intermédiaire entre les deux afin d’obtenir le retour des otages… qui étaient morts: ce sont des cercueils qui sont revenus.

Voyant le Hezbollah s’attaquer à Nosra qui tenait Ersal et ses environs, l’armée libanaise stationnée sur place avertit son commandement qu’elle ne pouvait honnêtement pas rester laisser une milice libérer le pays et verser son sang pour lui. Pour la première fois depuis le début de l’occupation, le haut-commandement donna aux troupes stationnées là-bas, le droit de libérer le territoire. Ce fut l’opération Fajr el-Jouroud, où l’armée libanaise s’attaqua à un ennemi en position de force, au sommet de hauteurs occupées par l’ennemi le plus coriace, le plus cruel du monde, et qui ne pouvaient être atteintes qu’en grimpant sur une pente presque verticale par endroits.

J’ai donc tenu à mettre ce post pour signaler que les choses ne sont pas aussi simples que le présente à peu près tout le monde. Surtout quand un habitant du Liban sur trois est un réfugié sunnite, syrien ou palestinien, et que les grandes puissances cherchent depuis 1973 à faire éclater le Liban pour pouvoir résoudre le problème palestinien en leur donnant un Etat aux dépens du seul pays qui n’est pas “intéressant” pour l’Occident, je me demande bien pourquoi: moi, je trouve la formule libanaise très intéressante dans son essence et non dans le soi-disant “pacte” de 1943 qui est anticonstitutionnel. Qu’il se soit trouvé une majorité de musulmans au Liban pour défendre une femme seule qui a brûlé le drapeau de Daech alors que Daech se trouve à quelques dizaines de kilomètres seulement, et à faire que cette femme soit encore en vie trois ans plus tard, prouve le succès et la viabilité de l’entité libanaise. Et l’Occident peut se féliciter de ce que nous existons encore et que nous refusons de mourir en tant qu’entité multiconfessionnelle. Car c’est sur notre cadavre que passeront les islamistes sur leur route pour envahir l’Occident.

Rappel: Quand François Hollande est venu au Liban pour la première fois, il a dit qu’il venait pour visiter un camp de réfugiés syriens et voir comment faire pour que les réfugiés syriens y restent…

Face à ce genre de politique que subit le Liban depuis 1973 (cf. mes deux livres Le Liban assassiné et Du règne de la Pègre au réveil du Lion, nous sommes encore debout, nous ne haïssons personne, et nous ne voulons de mal à personne. C’est peut-être en cela que nous sommes debout.


Et un message à MM. Zemmour et autres. S’il vous plaît, cessez d’utiliser le mot “libanisation” dans le sens où vous l’entendez, car c’est faux. Il n’y a pas un endroit au Liban où il n’y ait pas des chrétiens et des musulmans qui vivent ensemble, qui s’aiment. Et on ne sait pas toujours qui est chrétien et qui est musulman.

Si les Libanais étaient le genre à être en guerre civile, ils n’auraient pas pu vivre un siècle sans émeutes et sans guerre ou massacres (entre 1861 et 1958). Et le Liban était le seul pays du Moyen-Orient à avoir cette stabilité.

Cela a changé à partir de 1958, non parce que les Libanais seraient soudain devenus des fous furieux, mais parce que l’or étranger a commencé (ou recommencé) à acheter les traîtres. Heureusement, il y a eu bien des révélations à ce sujet. Il y en a au sujet de toutes les guerres prétendues civiles au Liban. Ce sera le thème d’une partie de mon prochain livre.

Lina Murr Nehmé, 24 septembre 2018

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Liban : un charnier découvert ?

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N.B. : Cet article a été publié sur Libnanews le 24 juillet 2011. Lien vers l’archive.

Lina Murr Nehmé, 24 juillet 2011, Beyrouth – On a découvert une fosse commune dans un terrain appartenant à un couvent à Chebaniyeh. Puis on nous a dit que ce ne sont que des os animaux jetés par un boucher. 

D’abord, les os animaux ne sont pas jetés (les bouchers les donnent ou les vendent pour la soupe et le bouillon).

Quelle que soit la nature de ces ossements, il est inacceptable qu’une partie de la presse n’ait pas le droit de les approcher pour les examiner.

Et de toute façon, il est inadmissible que quiconque se mêle d’affaires de ce genre avant le procureur et les ministères concernés, le premier étant le ministère de la Justice. Où est le ministère de la Justice en ce moment?

Et le témoin a parlé de 27 sacs d’ossements. Or 26 n’ont pas été trouvés. Où sont-ils?

Ceci nous rappelle la tragédie de la fosse commune de Halate. On nous avait dit qu’il n’y avait pas d’ossements, car ceux qui avaient creusé la terre avaient refusé de tenir compte des indications des témoins, et ils avaient creusé là où il était impossible de trouver quelque chose.

En 2000, lors de l’enquête faite par l’Etat libanais, Joumblatt et Berri ont reconnu qu’ils avaient tué tous les otages qu’ils avaient enlevés. Dans ce cas, ils doivent être dans une (ou des) fosses communes. Si la fosse comune de Chebaniyeh n’est pas un endroit où sont enterrés des hommes, où sont les fosses communes contenant les cadavres des Libanais tués par Joumblatt, Geagea ou Berri durant la guerre?

La légèreté et la vitesse, le manque de professionnalisme avec lesquels l’affaire est menée, sont inquiétants pour le futur. Car le jour où il y aura une vraie fosse commune d’ossements humains, il y aura de fortes chances pour qu’on la bouche avant que le ministère de la Justice s’en soit mêlé.

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Liban : une vraie nation n’a pas besoin du “vivre-ensemble”

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En France, le voile pose problème — et me pose problème — parce qu’il s’est imposé comme une forme de rejet, de haine, pour des raisons politiques, et comme une forme de propagande religieuse. Alors qu’au Liban, où de toute façon chacun a sa religion et accepte que l’autre pense différemment, il n’y a pas de ce genre de prosélytisme: on peut avoir deux sœurs dont l’une est voilée et l’autre a ôté son voile sans que sa famille dise quoi que ce soit.

Voici Mme Hayat Shour (photo ci-dessus) qui était si ostentatoire avec son bonnet et l’énorme drapeau libanais qu’elle brandissait à bouts de bras, quand je l’ai remarquée au milieu de la foule et que j’ai couru prendre d’elle plusieurs photos.

Il faut signaler que cette manif était une protestation pour faire libérer des officier et soldats emprisonnés à la demande des islamistes.

Si je me souviens bien, c’est parce qu’ils avaient tiré sur des terroristes islamistes et tué un cheikh réputé pour sa violence verbale et ses connexions terroristes. Le climat était extrêmement tendu: une dizaine de membres (musulmans) d’un parti politique avaient été lynchés par les islamistes dans cette région. L’armée libanaise avait dressé ce barrage sur la route, à l’occasion d’une commémoration faite par ce même parti politique, pour empêcher un nouveau lynchage. Ce cheikh avait refusé de faire stopper sa voiture au barrage, et un de ses hommes avait même tiré sur les soldats. L’officier et les soldats n’avaient fait que leur devoir en tirant, et leur emprisonnement était injuste. Le fait que le coffre la voiture du cheikh se soit révélé bourrée d’armes et d’explosifs alors qu’elle prenait la route qui menait vers la manifestation politique, prouve qu’il y avait eu de quoi s’inquiéter.

Hommage, donc, à tous les musulmans de l’armée libanaise, tant ceux qui ont été égorgés par Daech parce qu’ils ont combattu Daech, que ceux qui, aux côtés des chrétiens, ont vaincu Daech, faisant de la minuscule armée libanaise, la seule armée à avoir vaincu Daech et à l’avoir chassé de son pays toute seule, sans aide russe ou occidentale. Et je rappelle que sans l’armée libanaise, Daech aurait pris son essor en 2007, à partir de Nahr-el-Bared au Liban, au lieu de le prendre en 2014 à partir de l’Irak.

Hommage à tous les musulmans auxquels le Liban doit son existence en tant que pays de la liberté de pensée, pays de la liberté d’expression, pays de la liberté tout court, pays où on est capable de défendre la justice. Car, je le montrerai dans le prochain livre que je publierai à Paris — et qui devra son existence à un juif libanais — tout ce qui a été appelé guerre civile au Liban au XXe siècle, c’était en fait des guerres d’occupation déguisées. J’ai déjà prouvé cela quand aux massacres de 1860, dans mon livre “Quand les Anglais livraient le Levant à l’Etat islamique”.

C’est à des musulmans ou à des druzes que l’Etat libanais doit d’exister, car sans eux, nous, chrétiens, nous n’aurions pas pu prouver que nous étions innocents des accusations que lançaient contre nous les islamistes et les Etats qui convoitaient notre terre. Notamment aux heures les plus critiques: au XVIIIe siècle, où le druze Fakhreddine a fait de notre pays un Etat fort, et celle où Nasser a voulu faire un Anschluss, en 1958, quand l’ONU et les grandes puissances prétendaient qu’il y avait une guerre civile au Liban, parce qu’ils croyaient avoir plus intérêt à plaire à Nasser qu’à ses victimes.

Dans ce second cas, le Premier ministre Sami Solh est resté debout à son poste et non à genoux devant l’argent (et dans mon livre je donnerai les noms et les sommes reçues par les soi-disant insurgés). Sami Solh a déclaré que les musulmans n’avaient rien contre les chrétiens et que le conflit était une guerre étrangère et non une guerre civile. Il a été combattu comme le sont les gens debout quand les autres sont à plat ventre. Il y a perdu son poste et ses biens, mais il y a gagné l’existence du Liban, ce qui est le plus beau des mécénats.

Et pour tous les musulmans, druzes et juifs qui, avec nous, ont été les soldats inconnus, non pas de ce stupide, hypocrite et détestable “vivre-ensemble”, mais du “s’aimer mutuellement en se respectant mutuellement” qui, seul, fait une nation.

Lina Murr Nehmé, 3 septembre 2018

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