Zelensky, pour se donner une contenance…

Zelensky est aux États-Unis, officiellement pour dire qu’il a besoin “rapidement” d’une nouvelle assistance américaine. Officieusement, il a probablement été convoqué par Biden pour que celui-ci tente de le convaincre de négocier, car il n’est plus possible de soutenir la guerre d’Ukraine, gouffre humain et financier.

Mais le général ukrainien Zaloujny parle d’un budget de 350 à 400 milliards de dollars, dont 17 millions d’obus d’artillerie.

Dans l’administration américaine, les avis à ce sujet sont partagés.

Les uns voudraient en finir. Mais Biden tient à continuer à soutenir Zelensky. Il a demandé des sommes d’argent folles pour l’Ukraine, mais les États-Unis sont exsangues, quasiment. Ils ont eu 31,4 trillions de dollars de dette souveraine fin 2022. Ils ne peuvent plus se permettre de financer Zelensky, surtout qu’une grande partie de l’argent est allé dans ses poches et celles de fonctionnaires hauts et petits. La fortune de Zelensky est colossale, et elle ne peut pas s’expliquer seulement par ses cachets d’acteur à succès. Il suffit de voir l’étendue de son patrimoine immobilier un peu partout dans le monde pour s’en convaincre.

Connaître toute cette corruption est décourageant pour les donateurs.

Malgré ça, Kiev a reçu, depuis février 2022, au moins 246 milliards d’euros sur le plan militaire, financier ou humanitaire. Les Américains, à eux seuls, ont donné ou annoncé 75 milliards d’euros d’aide, dont 46,3 milliards en aide militaire

En d’autres termes, plus de la moitié de l’argent donné est resté en Amérique. Il a été reversé aux usines de fabrique d’armement.

Mais l’arsenal américain est dégarni. Les Américains envoient à l’Ukraine leurs propres réserves dans certains cas, et ils n’arrivent pas à les reconstituer assez vite.

Il faudra plusieurs années pour finir de compenser le trou dans l’arsenal, certaines des pièces prenant beaucoup de temps à faire. S’il y a une guerre – et c’est toujours possible –, les États-Unis ne sont pas certains de pouvoir vraiment y faire face. D’ailleurs, leur armée sait-elle encore se battre ? Elle a été battue par al-Qaïda, puis par les Talibans.

Les Russes, nous disait-on, allaient perdre à plates coutures. Puis on nous a dit que Poutine se trouverait dans une impasse. Maintenant, il est clair que c’est une victoire écrasante qui se prépare.

Mais les Américains ne veulent pas trop avoir l’air perdants. Ils ont infligé de nouvelles sanctions à la Russie, comme pour ralentir une victoire qui s’annonce éclatante.

Lina Murr Nehmé
13 décembre 2023

Zelensky, la fin

Sur le terrain, il est clair que l’Ukraine ne peut plus gagner. L’armée ukrainienne fait du sur place et perd parfois des centaines, voire des milliers de soldats à la fois. Et il n’est pas possible de les remplacer, puisque des millions d’Ukrainiens ont fui le pays, et que la Russie a annexé une partie de l’est et du sud du pays, et naturalisé leurs citoyens. Les Russes ont des fortifications qu’il est difficile de percer, et ils ont intensément miné les champs qui les entourent. Les Ukrainiens sont de plus en plus nombreux à préférer l’idée de paix, même s’il leur faut pour cela sacrifier des territoires.

En fait, Zelensky a été près de signer un accord beaucoup plus avantageux avec les Russes il y a deux ans. Mais Boris Johnson l’a obligé à faire marche arrière en lui disant qu’il ne recevrait plus d’argent s’il faisait la paix. Apparemment, M. Zelensky gagne beaucoup dans cette affaire, puisqu’il a accepté de quitter la table des négociations.

Il ne peut pourtant pas cacher l’hécatombe. Les morts ukrainiens se comptent par centaines de milliers. Les photos aériennes des cimetières sont effrayantes. Ceci, sans compter les soldats restés sur le champ de bataille, soufflés par des explosions, et qui sont en train de pourrir, mêlés à la boue. C’est très déprimant pour leurs compagnons, car le mauvais temps est revenu. Il a plu, ils ont pataugé dans la boue, et maintenant, il neige. Cela fait plus d’un an qu’on les envoie se faire tuer. Ils n’ont plus de munitions, et ils en veulent à Zelensky qui vit dans un palais et se paie des voyages pour se faire applaudir par les assemblées parlementaires les plus prestigieuses, tandis que sa femme porte des bijoux très chers et s’affiche dans des tenues de luxe, valant des milliers de dollars. Elle dépense des sommes folles. Une employée chez un bijoutier de New York affirme qu’en un seul jour, elle a acheté pour plus d’un million de dollars de bijoux dans sa boutique.

Voyant le train de vie que mène Zelensky, les Ukrainiens se demandent pourquoi il les prive du nécessaire. En face, l’armée russe est bien équipée, et dispose de ressources qui semblent illimitées. Les Russes sont beaucoup plus nombreux que les Ukrainiens, et peuvent mobiliser à volonté. Et leurs fabriques de munitions tournent 24h sur 24. Les Ukrainiens, eux, sont de moins en moins nombreux. En désespoir de cause, Zelensky est obligé de les faire enlever dans la rue. Il mobilise aussi des femmes, et même, des handicapés. Des dizaines de vidéos circulent à ce sujet sur les réseaux sociaux en Ukraine.

Dans ce cas, à quoi bon continuer la bataille ? Puisque de toute façon les Ukrainiens vont perdre ces territoires, autant faire cesser cette guerre sanglante immédiatement, plutôt que de perdre encore des dizaines ou des centaines de milliers de morts.

En outre, depuis le début de la guerre à Gaza, les médias ne parlent plus de l’Ukraine. Les populations occidentales se sont désintéressées de cette guerre. Biden a demandé cent milliards dont 60 pour l’Ukraine et 40 pour Israël, mais les États-Unis ne sont plus la grande superpuissance d’autrefois. Ils sont au bord de la faillite, et pourraient s’écrouler financièrement.

Les Ukrainiens, en tout cas, ne semblent plus croire à la victoire, et c’est ce qui explique leur désir de faire la paix à un prix qu’ils refusaient encore, un an plus tôt : la perte de territoires. Le sondage cité par Bloomberg le montre.

Au printemps 2021, Zelensky aurait pu signer la paix à un prix moindre. Maintenant, c’est différent. La Russie tient une partie importante du pays, et elle a naturalisé ses citoyens. Elle semble vouloir continuer ses conquêtes jusqu’au fleuve Dniepr, une frontière facile à défendre.

Zelensky lui-même est découragé. Mais il tient bon parce qu’il ne veut pas perdre la face. Et parce qu’il est difficile pour lui de proposer la paix alors qu’il a interdit que l’Ukraine négocie avec la Russie tant que Poutine sera au pouvoir. Maintenant, il veut probablement faire monter les enchères. Jusque-là, et malgré ses promesses électorales, il avait accepté de faire la guerre parce qu’on le payait. Si on le paie pour faire la paix, il acceptera probablement de la faire.

Affaire à suivre.

Lina Murr Nehmé,

25 novembre 2023

Le Liban, pays de la vie

En cette fête de l’indépendance, je regarde la photo d’une fille qui était belle avant de se mutiler en faisant exploser son corps pour tuer des civils ennemis. Je songe à ce qui reste des corps de jeunes gens qui se sont décapités eux-mêmes dans un but similaire, et j’ai le cœur serré.

Je regrette qu’ils n’aient pas compris la vérité.

J’ai toujours pensé que la divinité qui aurait créé l’homme, ne pouvait pas ordonner la haine et le meurtre, puisque cela détruisait son œuvre. C’est pour cela, me disais-je, que le Dieu de la Bible a dit : « Tu ne tueras pas. »

Le meurtre est un crime, il n’est pas un martyre.

En voyant tous ces peuples se venger de façon plus ou moins terrible, je pense que personne n’a souffert autant que nous autres, Libanais, et souffert, surtout, parce que notre souffrance n’était pas prise en compte, et pas même racontée. On a fait de nous des bourreaux de nos bourreaux. Il n’y a pas plus horrible que de passer pour un bourreau quand on est une victime.

Malgré tout cela, nous n’avons jamais utilisé le terrorisme contre qui que ce soit. Malgré tous les malheurs qui ont frappé le Liban au cours des âges, il n’est jamais devenu violent. Il n’a jamais agressé personne. Au contraire, il a toujours eu pitié de ses ennemis, venant à leur secours quand ils souffrent.

L’armée libanaise préfère même risquer la vie de ses membres plutôt que de tuer des civils ennemis. Elle ne se contente pas de leur donner des avertissements avant les bombardements : elle assure le transport de chacun d’eux, et ne commence la bataille que lorsqu’ils ont tous été évacués.

Et ce travail humanitaire lui coûte du sang. À Nahr al-Bared, par exemple, elle a mis une semaine à évacuer les civils ennemis. Beaucoup de soldats ont été blessés et deux d’entre eux tués en sauvant les civils de l’ennemi qui venait d’égorger et d’éborgner 20 de leurs compagnons dans leur sommeil.

Vive l’armée libanaise,

Vive le Liban.

Vive les valeurs du Liban, de son armée et de son peuple.

Avec l’espérance de la résurrection du pays dont la noblesse, la magnanimité et la moralité ne meurent jamais. Et surtout, Liban, ne change pas de symbole, ne change pas de drapeau, et ne change pas d’hymne national.

Lina Murr Nehmé

22 novembre 2023

Le bébé qui criait sous les bombes à Beyrouth, 1978

Des Palestiniens, à Gaza durant les bombardements, célébraient un mariage et s’amusaient en chantant et dansant dans une cour. En regardant la vidéo, j’évoque nos rires sous les bombes durant la Guerre des Cent Jours à Beyrouth-Est. Nous faisions de la résistance en résistant à la peur.

Le premier soir, par exemple, et alors que les bombardements et les tirs étaient très serrés, je refusai d’arrêter de faire la vaisselle, ou de la faire à la lueur de la bougie pour plaire aux Syriens qui, postés dans la rue, à vingt mètres de notre immeuble, tiraient au fusil sur les fenêtres allumées.

La famille s’était réfugiée dans l’entrée, la partie la moins exposée de l’appartement.

– Lina, viens ici ! ordonna ma mère.

– Quand j’aurai fini ! criai-je. Je ne vais pas laisser la vaisselle sale pour leur plaire !

Ces messieurs étaient mécontents et tiraient. Ils voulaient forcer tout le quartier à éteindre ses lampes. Je réalisai que j’étais la seule à avoir gardé une lumière allumée quand l’un d’eux cria à un autre qui se trouvait de l’autre côté de la rue :

– Elle est encore là ?

– Oui.

– Tire !

Et il tirait encore, et encore.

L’inquiétude rendait ma mère folle. Elle cria :

– Freddy ! Dis-lui de laisser ce qu’elle fait et de venir ici !

Papa émit un ordre péremptoire qui n’admettait pas de discussion. Je me séchai les mains et je les rejoignis. Nous nous mîmes à parler de la guerre et des intentions d’Hafez el-Assad qui nous bombardait – ou plutôt de Khaddam, son ministre des Affaires Étrangères, qui décidait de tout dans cette guerre du Liban, parce qu’il était sunnite et favori des Saoudiens.

Les voisins du dernier étage descendirent avec leur bébé. Nous leur ouvrîmes.

– Nous pouvons nous asseoir sur votre palier ? demanda le voisin.

Il nous expliqua que des roquettes étaient tombées dans leur appartement.

– Bien sûr, dirent mes parents. Vous êtes les bienvenus.

Nous leur apportâmes des rafraîchissements, mais ils ne voulurent pas manger, disant qu’ils avaient déjà dîné. Nous laissâmes notre porte ouverte, et nous apportâmes pour eux des chaises. La voisine tint à porter sa fille sur ses genoux. Elle avait si peur qu’à chaque arrivée d’obus, elle criait en serrant sa petite fille dans ses bras. L’enfant, un bébé d’un an et demi, sursautait alors et pleurait avec désespoir. Sa douleur faisait pitié à voir. Craignant que cette petite ne soit traumatisée à vie, je me mis à crier : «Boum !» en riant et en tapant des mains et des pieds à chaque explosion. Ma sœur m’accompagnait.

La petite se calma peu à peu, puis sourit entre ses larmes. Bientôt, elle se prit au jeu et, sa mère s’étant calmée, elle oublia sa peur et se mit à rire aux éclats à chaque explosion.

– Comment pouvez-vous être aussi calme sous les bombes ? demanda son père au mien.

– Nous pourrions mourir d’une autre manière, répondit papa. D’un accident de voiture ou d’une crise cardiaque par exemple. Alors pourquoi me ruiner la vie en me faisant du souci ?

Ce n’étaient pas, comme en 2006 ou comme maintenant à Gaza, des obus de deux tonnes capables d’abattre un immeuble. Les Syriens ne pouvaient pas utiliser leur artillerie la plus lourde au Liban, car les Israéliens leur avaient fait savoir que les bombardements aériens au Liban étaient une ligne rouge qu’ils ne les laisseraient pas franchir. (En 1982, ils mirent leur menace à exécution en détruisant toute la flotte aérienne syrienne en moins d’une heure. Mais en 1990, ils violèrent leurs propres interdictions en autorisant les bombardements et l’occupation de tout le Liban par la Syrie, parce que les Américains le voulaient. Ils tenaient absolument à avoir Hafez el-Assad dans leur coalition contre Saddam Hussein.)

– Tant que vous restez assis dans ces endroits comme ça, il n’y a pas de risque. Ce genre de bombe frappe les humains et ne nuit pas à la solidité de l’immeuble. C’est pourquoi, malgré toutes leurs bombes, Beyrouth est encore debout. Autant qu’ils frappent les murs, notre immeuble tiendra. Les piliers et les plafonds sont en béton armé, faits pour supporter des pressions très élevées. Contrairement aux immeubles anciens dont le poids repose sur les murs qui peuvent s’effondrer si le mur est atteint, comme ceux du centre-ville.

Ma mère faisait les cent pas en égrenant son chapelet et en priant d’un air tragique. Voyant nos réjouissances, elle se mit à gronder :

– Comment pouvez-vous vous amuser ? Moi, quand un obus tombe, je me dis : «Voilà une famille privée de père. Voilà une mère privée de ses enfants. Voilà des enfants devenus orphelins.»

– Mais maman, protestai-je, c’est sur nous que les obus tombent !

Alors elle nous laissa tranquilles et poursuivit ses prières et ses lamentations en silence. Pour nous et le bébé, la soirée se poursuivit gaiement.

Comme il se faisait tard, la petite cessa de rire pour sucer son pouce avec des yeux somnolents.

– Nous allons monter, dirent les voisins.

– Passez la nuit chez nous ! proposa papa. Nous pouvons mettre pour vous un matelas dans l’entrée ; c’est bien abrité. Ou sur le palier si vous voulez plus de sécurité. Personne ne va prendre l’escalier d’ici demain.

– Non, dirent-ils. Nous allons monter dormir chez nous. Les bombardements semblent plus éloignés.

Après leur départ, nous restâmes un moment à raconter des histoires drôles et à nous moquer des politiciens et de l’ennemi. Puis nous allâmes nous coucher.

Cet été-là fut celui où je ris le plus de ma vie. Je pouvais alors être philosophe et rigoler, puisque les bombes tombaient sur moi. C’est quand elles tombent sur les autres que je vivais – et vis encore – dans une angoisse de tous les moments.

Sinon, nous autres, Libanais, nous savons vivre. Non seulement en rigolant ou en priant sous les bombes, mais aussi, en rendant le bien pour le mal. Nous allons jusqu’à rendre service à l’ennemi d’hier en courant à son secours. Lors du tremblement de terre qui a frappé les Syriens, les Libanais ont couru à leur aide, si nombreux qu’ils ont provoqué un embouteillage de minuit à Dahr el-Baïdar. Est-ce qu’un seul Libanais a alors protesté ?

Aucun.

Lina Murr Nehmé