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Retour sur les bombardements américains en Irak (1990-1991)

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J’écris en ce moment un roman qui m’oblige à faire des recherches sur la guerre contre l’Irak en 1990-1991. Je croyais avoir atteint le fond de l’horreur durant mes recherches pour mes livres passés. Mais je me trompais.
 
Quand on se plonge dans les documents d’époque, on est terrifié de la facilité avec laquelle les civils irakiens ont été affamés durant cinq mois et demi avant la guerre en dépit de toutes les lois de la guerre que reconnaissaient les Etats-Unis, et qui interdisent le blocus d’un pays quand cela affame les civils.
 
L’Irak importait 70 % de sa nourriture. Au bout de quelques mois de blocus, les civils irakiens ne mangeaient plus que le tiers de leurs rations d’avant la guerre. Dans le cas des pauvres, ils n’avaient même pas ce tiers, car le prix des aliments était monté de façon vertigineuse, à cause du bombardement, par les Américains, des principaux silos à grain et des camions qui pouvaient apporter des vivres de Jordanie ou même d’Iran.
 
Ceci, sans parler du nombre de personnes brûlées vives dans le bombardement de leurs demeures. Car contrairement à la propagande qui a sévi à l’époque, ce n’était pas “une guerre propre”, et ce n’étaient pas des “bombes intelligentes”. La plupart des bombes manquaient leur but et tuaient à côté. Les coûteuses “bombes intelligentes” étaient très peu nombreuses et réservées à Bagdad, car c’est là qu’était basée la presse mondiale, et il ne fallait pas montrer une ville trop ruinée. Bassora, n’étant pas une ville très visitée par les journalistes, a subi n’importe quel genre de bombes et a été ruinée de façon terrible.
 
Un rapport de l’Unicef a décrit la situation de l’Irak après les bombardements comme étant “quasi apocalyptique”. Pourtant, le blocus n’a pas été levé. Il a fallu, des années plus tard, que l’Unicef produise un autre rapport disant que la mortalité des enfants était très largement supérieure à ce qu’elle avait été avant la guerre — au point que 500.000 enfants irakiens étaient morts, et ne seraient pas morts s’il n’y avait pas eu cette guerre — pour qu’on accepte d’autoriser l’Irak à vendre du pétrole pour acheter de la nourriture.
 
Il y avait la faim, certes, qui tuait ces enfants. Mais il y avait aussi le cancer, à cause de l’usage, par les Américains, de bombes à l’uranium appauvri, qui ont rendu les régions où elles ont été utilisées radioactives et ont produit une quantité inexplicable de leucémies par la suite. On attribue aussi le “syndrome du Golfe” à cette arme, car la poudre radioactive produite par les explosions frappait évidemment les Américains et autres alliés avant de frapper les Irakiens.
 
Les objectifs civils bombardés volontairement étaient innombrables: on bombardait partout où il y avait un risque de tuer des militaires, alors que les lois de la guerre commandent l’inverse.
 
Ainsi furent bombardées durant cette guerre des écoles, des hôpitaux, des mosquées, des églises, 83 ponts (cela fauchait parfois des maisons entières et brûlait vives les familles), deux barrages hydroélectriques (qui, s’ils se brisaient, pouvaient noyer des villages entiers), des usines qui fabriquaient du ciment, des vêtements, des ustensiles d’aluminium, des câbles électriques, du lait maternisé, et j’en passe.
 
Des bombes guidées ont été utilisées pour frapper un abri réservé aux civils à Amiriyyah en banlieue de Bagdad, faisant 400 morts civils. Comme le fit remarquer un journaliste de la BBC, et aussi les organisations humanitaires, il n’y avait pas traces d’utilisation de cet abri par les militaires.
 
La photo ci-dessous montre le bombardement, par l’armée américaine, des restes de l’armée irakienne qui rentrait chez elle après avoir quitté le Koweït. Comme on le voit, une grande partie des véhicules bombardés sont civils. Il s’agissait de réfugiés qui avaient à craindre la colère de l’émir du Koweït: des Irakiens, des Jordaniens, des Palestiniens, des Yéménites qui travaillaient au Koweït et fuyaient avec leurs familles et leurs biens. Pour expliquer leur présence, les Américains les ont accusés d’être des soldats qui avaient pillé le Koweït. Un simple examen de cette photo montre le contraire.
 
Le convoi moitié militaire, moitié civil, faisait 100 km de long. Les pilotes américains reçurent l’ordre de frapper le véhicule en tête et le véhicule à la queue du convoi, créant un embouteillage terrible. Ensuite, ils jetèrent des tapis de bombes durant des heures, du début du convoi à la fin.
 
Cette autoroute qui reliait Koweït-ville à Bassora en Irak, a depuis été appelée “l’Autoroute de la Mort” à cause de ce massacre qui a tué des dizaines de milliers de personnes et a traumatisé certains des pilotes qui ont aidé à le commettre.
 
Il y avait de quoi.
 
Les photos de “l’Autoroute de la Mort” ont tellement scandalisé les Américains qui les ont vues que George Bush a hâtivement mis fin à la guerre. C’est pourquoi Saddam Hussein est resté au pouvoir.
 
Cette photo est l’une des rares qui montrent des gens encore vivants après ce bombardement. Elle semble avoir été prise au début du bombardement, et on y voit clairement des hommes civils, et même des femmes. La plupart des autres photos, notamment celles publiées par l’Armée Américaine, ne donnent pas l’impression qu’il y ait eu des rescapés. Elles sont bien trop horribles pour être montrées ici.
 
Lina Murr Nehmé, 22 mai 2018
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