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Iran et Pakistan : deux poids, deux mesures

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En 2002, les Américains ont déclenché contre l’Irak une guerre terrible en accusant Saddam Hussein de se livrer à des recherches nucléaires. L’Irak fut détruit, Daech en jaillit, et l’histoire de l’armement atomique de Saddam se révéla fausse.

Deux poids, deux mesures: les Américains savaient très bien que leurs alliés pakistanais, eux, avaient l’arme atomique. Ils avaient fait des essais nucléaires réussis quatre ans plus tôt: en 1998. Depuis, ils ont construit plusieurs missiles pouvant porter des ogives nucléaires.

La photo montre le missile balistique pakistanais sol-sol de moyenne portée Ghouri-1, pouvant être armé d’ogives nucléaires. Ce n’est qu’un des missiles balistiques pakistanais de ce genre. Il y en a plusieurs autres, de différentes portées.

Cet armement pourrait tomber aux mains d’al-Qaïda et des talibans, lesquels sont plus forts que jamais, ayant des avatars un peu partout dans le monde. Car au lieu de combattre le gouvernement pakistanais de Zia qui imposait la charia, torturait les Pakistanais et les mettait en prison pour un mot, les Américains ont travaillé avec lui, ils l’ont financé, ils l’ont fortifié, et pour finir, il a obtenu la bombe, et le monde a eu al-Qaïda et les talibans, payés avec l’argent américain et saoudien. L’argent récolté a servi à construire plus de madrassas radicales.

Et quand, le 11 septembre, al-Qaïda a frappé les Américains qui l’avaient financée, ce n’est pas le Pakistan qui a été attaqué parce qu’il avait la bombe et parce qu’il finançait al-Qaïda: c’est l’Irak qui combattait al-Qaïda, qui l’a été.

Des décennies de madrassas déobandies ou barelvies au Pakistan, et nous avons le résultat sous nos yeux: les émeutes meurtrières paralysant le pays après l’acquittement d’Asia Bibi, les appels au meurtre, et le gouvernement qui cède aux islamistes et accepte qu’Asia Bibi et sa famille ne quittent pas le Pakistan et que le jugement de la Cour Suprême puisse être un jour revu.

Deux millions de personnes de ce genre qui pourraient avoir la bombe, et on veut attaquer l’Iran qui ne l’a pas?

Le comble est que la technologie nucléaire iranienne est pakistanaise aussi: le père de la bombe pakistanaise, Abdel-Kadeer Khan, a déclaré en 2004, qu’il avait vendu à l’Iran et à la Libye les secrets de la technologie de la fabrication de l’arme nucléaire, notamment en matière d’enrichissement de l’uranium (sur ordre de son gouvernement bien sûr).

Attaquer et détruire l’Irak, puis parler d’attaquer l’Iran pour une bombe qui n’existe pas encore, et dont les secrets ont été vendus par le Pakistan, qui possède la bombe, et qui n’a jamais été attaqué, vous trouvez ça logique ? 

Lina Murr Nehmé, 11 janvier 2019

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Pakistan : Le “lent génocide des minorités”

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Au temps où le Liban était encore la terre de refuge de tous les persécutés d’Orient et du monde, c’est-à-dire avant qu’il ne soit vendu pour du pétrole saoudien, nous recevions les malheureux par vagues. Juste avant la guerre, une des vagues de Pakistanais a déferlé.

Les enfants venaient frapper sur les vitres de la voiture et disaient: “I am from Pakistan, I have no father, no mother, no brother, no sister, no home”…

Je pense que ces enfants doivent être grands et avoir des enfants. A moins qu’ils ne soient de ceux qui ont été embauchés par les Palestiniens pour nous combattre, et parfois nous massacrer. De pauvres gens, qui n’avaient pas toujours le choix. Qu’est-ce qui a fait que “le Pays des Purs” (le sens du mot “Pakistan”) soit devenu le pays des tragédies, le pays qui tue ou chasse ses enfants parce que les djihadistes, formés pendant des décennies par les déobandis (dont font partie les tablighis et les talibans), y font la loi ?

A la création du Pakistan, en 1947, le pays comptait parmi ses citoyens des juifs, des zoroastriens, des sikhs, des hindous, des chrétiens, des chiites, des ahmédis qui, tous, avaient leurs lieux de culte. Mais ces minorités ont été si maltraitées qu’elles sont en voie de disparition — soit à cause des conversions forcées et des assassinats, soit à cause de l’exil.

Farahnaz Ispahani, ancienne conseillère médiatique du président pakistanais, appelle cela « le lent génocide des minorités ». Selon elle, les minorités religieuses au Pakistan, qui formaient 23 % de la population en 1947, ne sont plus que 3 à 4 % aujourd’hui.

Je traduis ci-dessous un passage de son livre Purifying the land of the Pure (“Purifier la terre des Purs”), qui explique pourquoi le Pakistan est encore islamiste de nos jours, malgré le régime civil.

Lina Murr Nehmé, 4 janvier 2019

Extrait tiré de : Farahnaz Ispahani, Purifying the Land of the Pure, Harper Collins India, 2015.

“En octobre 1999, le général Pervez Musharraf devint le quatrième dictateur militaire du Pakistan, qui s’islamisait progressivement depuis des décennies. Avec la montée du militantisme, les minorités religieuses avaient davantage souffert de la férocité des islamistes au cours des années 1990, que durant toute décennie précédente. Musharraf promit de renverser la politique précédente qui, selon lui, avait «ébranlé la fondation même de la Fédération du Pakistan».

“Lorsque Moucharraf renonça au pouvoir en 2008 après près d’une décennie, les militants extrémistes religieux étaient plus à l’aise que jamais. La situation des minorités non-musulmanes et des minorités musulmanes avaient continué à se détériorer sous un régime civil au cours des années suivantes.

“La raison pour laquelle la promesse de Musharraf de maîtriser l’extrémisme religieux ne fut pas honorée tient à son soutien au djihad en tant qu’instrument servant la politique étrangère du Pakistan. La recherche d’une influence régionale, en particulier pour contrer l’ascendance indienne, est restée au cœur de la stratégie politique du Pakistan sous les gouvernements civils depuis 2008. De même, les djihadistes ont continué de jouer un rôle important dans le maintien de la position du pays sur les questions territoriales. Il n’y a donc pas eu de véritable effort pour éliminer le terrorisme islamiste.

“En conséquence, les persécutions contre les chrétiens et les ahmadis en vertu des lois sur le blasphème, les attaques contre les sunnites soufis et chiites — ainsi que la conversion forcée des hindous — persistent. Les Pakistanais débattent souvent de questions telles que la manière de ramener le Pakistan aux idéaux de Jinnah ou de savoir si l’élimination à grande échelle des chiites peut être qualifiée de génocide. Mais ces arguments ne changent pas grand-chose à la vie des membres des communautés minoritaires. Ces dernières années, les musulmans qui ont pris la défense des minorités ont été, eux aussi, la cible de violences islamistes. Les militants ont impitoyablement prévenu toute discussion à une grande échelle dans la société pakistanaise au sujet de la réforme juridique et politique.”

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