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Chahinez Daoud : une mort évitable

Chahinez Daoud était une Algérienne qui, en France, voulait vivre comme une Française. Elle y pensait peut-être déjà quand elle épousa Mounir Boutaa en 2015. Ce dernier, né et élevé en Algérie, avait épousé une Française et s’était disputé avec elle. Il épousa Chahinez en secondes noces, pensant qu’elle lui serait soumise et obéissante en tout.

La conception qu’il avait des droits des femmes était régie par le code de la famille algérien. Or celui-ci est calqué sur la charia, et malgré quelques modifications, il ne pouvait changer dans le fond, car la Constitution algérienne stipule que « L’Islam est la religion de l’État » (art. 2).

Selon la charia, l’homme est supérieur à la femme[1]. Il peut facilement la répudier, et il a alors l’autorité parentale complète, même si les enfants sont gardés par leur mère. Il a le droit d’être polygame, de donner à sa femme des ordres et de la battre si elle n’obéit pas. Elle n’a pas le droit de se trouver seule avec un autre homme[2]. Elle est une éternelle mineure qui ne peut pas décider de se marier sans l’accord d’un proche parent de sexe masculin, appelé par la charia « mahram »[3]. Avant 2005, il n’y avait pas de mariage sans la permission de ce tuteur. Si le père de la femme était mort, c’est son frère qui jouait ce rôle, ou même son fils. Depuis 2005, la femme peut choisir son tuteur, mais il continue à être obligatoirement présent au mariage… et à être de sexe masculin.

Durant la décennie noire de la guerre civile que les islamistes infligèrent aux Algériens dans les années 1990, beaucoup de jeunes filles furent tuées parce qu’elles ne se conformaient pas aux volontés édictées par ces fanatiques. Et même en France, on ne compte pas le nombre de femmes tuées à cause des sermons de prédicateurs islamistes qui continuent à marteler la supériorité masculine dans les mosquées. Ces morts sont présentées par la famille et des médecins complaisants comme étant naturelles. Elles ne sont signalées dans la presse que si le meurtre est spectaculaire.

Dans les quartiers, le mépris de la femme est distillé dans les livres, les prêches privés et les mosquées. L’imam Hammami, de la mosquée Omar, rue Jean-Pierre Timbaud, fut chassé de France parce qu’il prêchait, entre autres, la violence envers les femmes. Dans mon livre « L’Islamisme et les Femmes » (Salvator, 2017), j’ai traduit les prêches d’oulémas influents, et fourni les autres éléments responsables de la montée de la violence envers les femmes ou les non-musulmans (ou les deux) chez des populations masculines qui n’étaient pas violentes auparavant.

Depuis 2005, le poids du mahram a diminué dans le code de la famille en Algérie, mais non dans les milieux islamistes. Car selon la charia, le mahram décide de tout ce qui sera important dans la vie de la femme. S’il lui dit par exemple de se voiler et de vivre recluse à la maison, elle doit obéir. Ce sujet fut une importante cause de tension entre Chahinez Daoud et son mari qui voulait qu’elle se voile comme au bled, et se fâchait en la voyant arriver vêtue d’un jean à l’occidentale. Elle se plaignait à la police parce qu’il la battait. Et lui justifiait ses violences en l’accusant de le tromper avec un autre.

Mis en prison pour ces violences, il fut libéré, et Chahinez fut mise sous ordonnance de protection. La loi de l’ordonnance de protection fait de l’homme un intrus dans son domicile. Il en sera expulsé par la force publique si nécessaire, tout en ayant l’obligation de continuer à en payer le loyer, plus une pension. Boutaa, simple ouvrier vivant selon ses moyens, se retrouva à la rue, privé du droit de s’approcher de ses enfants, et devant payer une pension à sa femme.

N’ayant pas de quoi payer deux loyers, il aménagea un fourgon en chambre de fortune en mettant un matelas. Puis il alla réclamer violemment au commissariat de police, le droit de voir ses enfants. Ne l’ayant pas obtenu, il décida, au nom des forfaits qu’il attribuait à Chahinez, de lui marquer le corps.

Il la guetta et, à sa vue, lui tira des coups de feu dans les jambes. Quand elle tomba, il s’approcha, l’aspergea d’un liquide inflammable et alluma le briquet. Ses vêtements brûlèrent comme une torche, et le voisin ne réussit pas à la sauver. Elle mourut dans des douleurs affreuses.

Mis en garde à vue, Boutaa déclara qu’il n’avait pas voulu la tuer, mais seulement « la cramer », « pour tout le mal qu’elle et la justice [lui] ont fait » ; il aurait voulu « la punir », « lui laisser des traces » en la brûlant « un peu », « lui faire la peur de sa vie ».

Quoi qu’il ait dit, il l’a tuée, et c’est irréparable.

Comment éviter de nouvelles tragédies de ce genre ?

En durcissant les conditions de l’ordonnance de protection ? Difficile. Car le magistrat doit juger, en quelques minutes, de cas très complexes en se fiant à la vraisemblance – c’est-à-dire aux apparences –, tout en balayant les preuves, car il n’a pas le temps de les examiner. Le critère est la seule « vraisemblabilité ». La plupart des hommes sont donc condamnés pour délit de sexe et de carrure, alors que l’examen de leurs preuves auraient pu les innocenter. Car tous les hommes ne sont pas des violents comme Boutaa. 25 à 30% au moins d’entre eux seraient même battus par leurs épouses. Mais parce que ce n’est pas vraisemblable, ils sont condamnés en cinq minutes sans examen de leurs preuves. Et leurs enfants sont privés d’eux, ce qui peut les marquer à vie.

Et les pères sont privés de leurs enfants, ce qui peut les faire sombrer dans le désespoir. N’ayant plus de domicile, beaucoup vont dormir dans la rue ou en voiture. Ils perdent leur travail, et parfois, se suicident.

Et on voudrait durcir encore ce processus ?

La technologie non plus n’aurait pas pu sauver Chahinez. Car à la vitesse à laquelle cela s’est passé, elle n’aurait pas eu le temps de tirer son téléphone grand danger du sac.

Quant au bracelet de signalisation, un criminel peut très bien le contourner en envoyant un copain tuer à sa place. Les hommes violents comme Boutaa côtoient les milieux de la pègre, quand ils n’y appartiennent pas.

Non, la solution n’est ni dans les appareils électroniques, ni dans les téléphones directs, ni dans les ordonnances de protection. Elle est dans la prévention. Et la prévention ne se fait pas en ignorant le code de la famille du peuple qui envoie le plus d’immigrés en France. Elle ne se fait pas en ignorant ce qui se dit et ce qui se lit dans les mosquées concernant l’infériorité des femmes, le droit de les battre, l’interdiction de questionner l’homme qui a tué sa femme sous les coups. La liberté des femmes ne devrait pas être inférieure à celle des hommes, même dans les quartiers. En France, il n’est pas acceptable que les tourments des femmes se cachent dans le silence des maisons ou des tombeaux.

Lina Murr Nehmé
https://www.atlantico.fr/article/decryptage/chahinez-daoud-une-mort-evitable-islam-charia-lina-murr-nehme?


[1] Le Coran 4.34.

[2] Le Coran 4.34. Ce verset est l’objet d’une polémique en France, certains francophones prétendant qu’il ne dit pas de battre les femmes. On trouvera les explications grammaticales à ce sujet dans : Lina Murr Nehmé, « L’Islamisme et les Femmes », Salvator, 2017.

[3] Le mahram, ses prérogatives, les textes qui le justifient et les implications qui en découlent, sont évoqués dans « L’Islamisme et les Femmes », op. cit.

https://www.amazon.fr/Lislamisme-princesses-saoudiennes-s%C3%A9questr%C3%A9es-scandales/dp/2706716118