Le métropolite Aoudé, le patriarche Rai, le recteur de l’Université Saint-Joseph Salim Daccache, et le président de l’Université Américaine de Beyrouth Fadlo Khuri, ont tous les quatre et dans cet ordre, appelé à se joindre au mouvement populaire et (ou) à dissoudre le gouvernement parce que “le peuple souffre”, “a faim”, et “n’en peut plus”.
Je transmets ici ce que m’ont dit des gens de familles pauvres. Ils voudraient que vous alliez jusqu’au bout de votre amour pour le peuple et de votre désir de diminuer ses souffrances, en donnant votre contribution.
Car le peuple affamé se plaint avant tout de la cherté de vos établissements scolaires, universitaires et hospitaliers. Il se plaint de ne pouvoir les payer s’il est malade, et de ne pouvoir assurer à ses enfants la scolarité dans vos établissements payants. Ainsi, un couple modeste doit débourser 4500 dollars de scolarité pour un enfant dans le petit-jardin.
Et, comme vous le savez, il arrive que des parents ayant payé ces scolarités, n’arrivent pas à payer le petit déjeuner de leur enfant, qui va à l’école le ventre vide, alors que ce n’est pas un temps de jeûne; et il y a parfois des évanouissements. Et les étudiants n’ont pas le droit de présenter les examens quand ils n’ont pas payé la scolarité. Ainsi, ils échouent d’office.
Voilà les principales dépenses du peuple pauvre. Voilà pourquoi il se plaint des impôts nouveaux. Parce qu’ils lui rendront plus difficile le paiement de vos scolarités en augmentation constante, et de vos frais d’hôpitaux.
Donnez-lui la gratuité, s’il vous plaît! Donnez-lui la gratuité, par égard pour sa souffrance! Ou alors, diminuez de moitié les scolarités de vos écoles et de vos universités, et le prix de vos nuits d’hôpital, des opérations et des soins, des examens du sang, de la lymphe et autres, des échographies, des mammographies et autres radios aux rayons X, des IRM, des images scans! Recevez les pauvres dans vos écoles, vos hôpitaux, vos universités gratuitement! Suivez l’exemple de ceux qui ont transformé le centre-ville de Beyrouth en gigantesque café gratuit où les rafraîchissements, les repas chauds, la sono, la musique, les spots lumineux, l’internet wi-fi haut débit, le narguilé, les danseuses et les strip-teaseuses, le remboursement des frais de déplacement, les tentes, la retransmission en direct effectuée par trois chaînes de télévision, 24h/24, tout cela est offert gracieusement aux milliers de manifestants, aux frais de la princesse (visiblement étrangère, puisque son identité est gardée si secrète)!
Soyez gentils: si chacun de vous donne ainsi la gratuité des services de ses institutions, le peuple aura beaucoup à manger. Comptez seulement quel apport alimentaire représenterait pour une seule famille le fait de ne plus payer 4500 dollars de scolarité pour un enfant au petit-jardin! Je ne parle pas de la scolarité de trois ou quatre enfants!L
P.S.: Vous me direz peut-être que vous avez besoin de payer des salaires et que je dois être réaliste. Je vous répondrai que vous devez vous-mêmes être réalistes. Un pays livré au chaos, c’est comme un établissement scolaire ou hospitalier privé de direction: il périclite. Et c’est alors que les gens auront vraiment faim! Déjà, ils ont faim parce que les miliciens en civil ont fermé les routes et les empêchent de se rendre au travail. Ceux d’entre eux qui sont payés à l’heure ou à la journée n’ont pas eu, depuis neuf jours, de quoi nourrir leurs enfants.
Lina Murr Nehmé, 26 octobre 2019