Un milliard pour vendre le Liban

Hier, Ursula Van der Leyen est venue informer les Libanais qu’elle donnerait un milliard d’euros sur quatre ans, pour que les migrants syriens soient empêchés d’aller en Europe. Ceci, sachant qu’en même temps, tout est fait par elle et les puissances occidentales, pour empêcher ces migrants de rentrer en Syrie.

Les migrants syriens coûtent au Liban 4,5 milliards par an, mais Najib Mikati, ex-Premier ministre dont le mandat est expiré en octobre 2022 – et qui donc, exerce le pouvoir de façon illégale – s’est aplati devant Ursula en disant : « Oui, Führer. Le Syrien qui voudra partir partira, et celui qui devra rester au Liban restera. »

Voilà le dernier coup de boutoir donné au Liban par les nations amies. En quelques décennies, elles ont détruit cette nation qui avait résisté 1400 ans à l’arabisme, au turquisme, à l’islamisme. Elles ont tout fait pour qu’elle perde son identité, soutenant la spoliation des chrétiens de leur pouvoir politique, soutenant les hommes de paille imposés par l’ennemi, et qui modifiaient la démographie libanaise par des naturalisations illégales, jusqu’à ce qu’il soit possible d’appeler le Liban « pays arabe » et « pays musulman ». Pour la première fois de l’histoire.

Maintenant vient la condamnation ultime qui consiste à imposer au Liban comme citoyens, 2,2 millions de migrants syriens musulmans sunnites et plus de 400.000 réfugiés palestiniens également sunnites, alors que les Libanais résidant sur le territoire sont 4 millions. Les autres, vous l’avez deviné, ont été chassés. Vous les voyez à Paris, à Londres, aux États-Unis, au Canada, en Amérique latine, en Afrique, dans les pays du Golfe, bref, partout ailleurs que dans leur pays.

Donc, voici un milliard d’euros pour changer à jamais la démographie libanaise et briser toute possibilité de redresser ce pays économiquement.

Un milliard ? Mais vous vous moquez de nous ! Selon la Banque Mondiale, la présence des Syriens coûte au Liban 4,5 milliards de dollars par an, dont un milliard directement, et 3,5 milliards indirectement. Si l’on fait le calcul, cela fait 63 milliards de dollars depuis 2011.

Étant donné que la dette publique libanaise s’élevait à 102,7 milliards de dollars fin septembre 2022, il est facile de comprendre pourquoi le Liban s’est trouvé en défaut de paiement et pourquoi son économie s’est effondrée comme celle du Venezuela. Chargez l’âne toujours plus, faites-lui porter quatre fois son poids, frappez-le, tirez à hue et à dia autant que vous le voudrez, il finira bien par mourir.

Quand le Cèdre s’écroulera, sa chute entraînera avec elle l’ensemble de l’édifice mondial. Car les paix de Munich ont un défaut, c’est que leurs conséquences reviennent comme un boomerang frapper ceux qui les ont concoctées.

Le Liban n’est pas tombé par faiblesse, mais par trahison. Sa chute progressive a apporté au monde l’islamisme de façon tout aussi progressive. La trahison, c’était le prix payé sous la table pour un pétrole bon marché, et pour chaque contrat mirifique d’armement. Mettez-vous à la place de ces puissances du pétrole qui, depuis 1400 ans, convoitent le Liban et n’ont pu le vaincre ni militairement, ni moralement, alors qu’elles l’ont toujours considéré comme le joyau du Moyen-Orient sinon du monde. Pourquoi se seraient-elles privées de conditionner leurs contrats d’armement à ces clauses secrètes qui leur ont procuré, concession après concession, la souveraineté de fait sur ce bout de terre toujours désiré et jamais obtenu ?

Le Liban est formé des restes combattants et résistants des nations détruites par les califats. Ensemble, ces restes formaient au Liban un barrage, un rempart, une tour de garde qui protégeait l’e monde l’Occident de l’islamisme, de ses armées et de son terrorisme. Le Liban recevait tous les coups en premier, et en absorbait l’essentiel. Et toujours, ce pays se relevait, même si une mauvaise information – ou une désinformation payée à prix d’or – donnait l’impression du contraire.

Le Liban a eu une longévité étonnante : il a résisté à des centaines de massacres, parfois de génocides, sans perdre son identité dans un océan d’islam, et sans cesser de recevoir les réfugiés par vagues, rendant le bien pour le mal aux citoyens des pays qui l’avaient combattu.

Le Liban peut absorber de vrais réfugiés, mais non des communautés qui, dans leurs pays d’origine, ont mené durant des décennies des guerres de djihad contre des minorités. Tel est le cas des réfugiés palestiniens et syriens qui se sont installés au Liban.

En Palestine, une guerre de djihad a été décrétée par le Grand Mufti depuis 1936. La guerre de 1947 était part de ce djihad, qui n’a jamais été révoqué, et que dirigeaient les sunnites palestiniens.

Quand ces derniers vinrent au Liban, ils ne tardèrent pas à reprendre le même genre de guerre, mais contre les chrétiens et contre les autorités libanaises. Même dans les années 1970, quand ils se disaient de gauche, ils utilisaient le cri du djihad – « Allahou Akbar ! » – quand ils combattaient les quartiers chrétiens ou l’armée libanaise.

Quant aux Syriens, ils vécurent, depuis 1963, dans un état permanent de guerre de djihad, menée par les islamistes sunnites sous la bannière des Frères Musulmans. Au plus fort de cette guerre, des centaines de personnes appartenant aux minorités, surtout alaouite, étaient assassinées, soit de façon individuelle, soit dans des attentats collectifs. Le régime baassiste répliqua par une énorme répression que la propagande des Frères Musulmans syriens utilisa par la suite dans ses appels à appliquer la charia et à exterminer les alaouites. Au début de la guerre syrienne, il y eut même sur al-Jazeera une émission positive sur ce sujet.

En 2011, lorsque la guerre éclata en Syrie, l’opposition n’était pas seulement islamiste : elle comprenait aussi d’importantes personnalités intellectuelles et laïques. Cependant, les djihadistes ne tardèrent pas à prendre les rênes, grâce à l’argent provenant du Golfe arabe et à la guerre de djihad qui faisait déjà rage en Syrie depuis des décennies, et ils se débarrassèrent des laïques. L’opposition syrienne devint alors islamiste, avec l’ASL, puis al-Nosra et Daesh comme porte-drapeaux.

Beaucoup de sunnites syriens sont patriotes et fidèles, mais ceux-là sont demeurés en Syrie. Ceux qui sont dans les camps de migrants au Liban appartiennent en majorité à l’opposition syrienne. Il existait en 2011 une opposition intellectuelle au régime en Syrie, mais grâce à l’argent du Golfe, les djihadistes ont rapidement pris le contrôle de la situation, écartant les intellectuels et les rendant inefficaces. L’opposition syrienne est aujourd’hui presque exclusivement islamiste, avec pour ténors al-Nosra (al-Qaïda) et Daesh, et dans une moindre mesure, l’ASL (Armée Syrienne Libre).

Ces organisations sont encore présentes sur le terrain. Elles commettent des attentats et recrutent. Et al-Qaïda et Daesh recrutent aussi au Liban, en offrant beaucoup d’argent aux plus pauvres. L’une d’elles – ou toute autre organisation djihadiste syrienne ou palestinienne disposant d’autant de prestige et d’argent – pourrait, le jour où elle recevrait l’argent et les armes, recruter une armée islamiste sunnite plus grande que l’armée libanaise, rien que dans les camps de migrants syriens. En effet, au moins 100 000 à 200 000 de ces migrants ont reçu un entraînement militaire en Syrie, soit en tant que conscrits, soit dans les organisations djihadistes. Et d’ailleurs, il est facile d’entraîner une nouvelle recrue, comme l’a prouvé la guerre syrienne.

Mais au lieu de regarder ce danger en face, la communauté internationale a simplement décrété la mort du Liban : les islamistes ne rentreront pas chez eux, et n’émigreront pas en Europe (alors que ce n’est pas le Liban qui a bombardé leur pays, mais les puissances occidentales). Et le Liban ne vend pas les migrants comme esclaves, comme il en a été en Libye.

Mais maintenant, apparemment, c’est fini. Comme disait l’Osservatore Romano au début de la guerre : « Si le Liban meurt, il mourra assassiné. »

Les conséquences en seront effrayantes. Car si l’islamisme frappe si fort l’Occident en s’engouffrant dans les brèches de la digue libanaise, que fera-t-il quand cette digue se rompra et que le flot se déchaînera dans toute sa vigueur ?

Lina Murr Nehmé