Quand les Anglais livraient le Levant à l’Etat islamique – Or, corruption et politique étrangère britannique (Salvator, 2016).
Les Anglais, le Levant, l’EI, l’or et les convoitises, selon Lina Murr Nehmé
par Scarlett Haddad (L’Orient le Jour, 5/12/2016).
Chacun de ses ouvrages est un coup de poing. Lina Murr Nehmé fouille inlassablement notre histoire contemporaine et celle un peu plus ancienne pour dénoncer les injustices et mettre en avant une vérité souvent camouflée par les vainqueurs. Lina Murr n’a pas peur de bousculer les idées reçues et les versions officielles : elle cherche, consulte, écoute et lit entre les lignes les non-dits de l’histoire officielle, pour montrer des faits implacables sans la moindre complaisance et sans craindre de choquer l’establishment. Son avant-dernier livre, Fatwas et caricatures, avait mis l’accent sur une certaine complicité occidentale dans la naissance et l’expansion de l’État islamique. Aujourd’hui, elle revient sur le rôle de l’Occident, des Britanniques en particulier, dans la création des États musulmans dans la région à partir de 1860 et jusqu’au début du XXe siècle.
Tout commence en réalité par la volonté de l’Empire britannique de passer du charbon au pétrole, et pour cela, il lui fallait mettre la main à la fois sur le pétrole des pays du Golfe et de l’Iran, mais aussi sur la route qui y mène. Les Libanais, les Palestiniens, les Syriens et les Mésopotamiens vivaient sur cette route. Soit il fallait créer des États indépendants, avec le risque toutefois qu’ils prennent des décisions souveraines sur le passage du pétrole, soit on crée un État islamique gouverné par la charia, avec lequel on conclut un accord une fois pour toutes qui garantit la route du pétrole et en même temps coupe la voie à d’autres pays européens influents dans la région, comme la France…
Mais ces plans bien étudiés et leurs machines bien huilées se heurtent toujours à des petits grains de sable imprévus qui peuvent les bloquer, les retarder ou les modifier. Pour Lina Murr Nehmé, le Liban qu’elle chérit est un de ces grains de sable puisqu’aucun étranger, arabe, musulman ou européen, n’a réussi à le contrôler totalement à travers les multiples étapes de son histoire.
Dans cet ouvrage intitulé Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique : or, corruption et politique étrangère britannique, l’auteure voyage à travers une partie passionnante de notre histoire et de celle de la région entre 1860 et 1973, la fin de l’Empire ottoman, le partage des influences dans la région et la naissance du royaume des Saoud puis celle de l’entité israélienne, jusqu’à l’éclatement de la guerre au Liban, dû au fait que les Occidentaux n’avaient pas de solution pour le conflit israélo-arabe et qu’ils ont choisi de le jeter sur le Liban, seul pays de la région où il y avait encore une présence chrétienne majoritaire.
Documents et références à l’appui (notamment des coupures de presse de l’époque avec des témoignages poignants, ainsi que des extraits de discours marqués par des illustrations), l’auteure relate l’étrange collusion au début du siècle dernier entre les islamistes et les sionistes qui ont, à eux deux, confisqué en quelque sorte l’identité des peuples de la région. Cet ouvrage est d’ailleurs le fruit d’un travail de recherche minutieux et passionnant, construit comme un puzzle où chaque élément prend sa place naturellement, sans grandiloquence ni rigidité idéologique. Les faits parlent simplement d’eux-mêmes.
Avec des mots simples et un style élégant qui transforme la lecture des réalités historiques en un roman et même en une aventure palpitante, Lina Murr Nehmé raconte, comme elle le dit, « une histoire d’or et de convoitise, de pétrole et de voies de communication » qui a transformé la région et modifié le sort de ses habitants. Elle le précise d’ailleurs : « Ce livre est rempli de la douleur et des larmes de nos ancêtres. » Parce que, selon elle, le Liban est quelque part la victime de grands enjeux régionaux et internationaux, faits de cynisme et d’intérêts énergétiques et autres. Pour elle, ce pays est une cible non seulement parce que son tissu social est fragile, mais surtout parce que la présence des chrétiens y est une donnée qui dérange. Mais c’est aussi l’ensemble de la région qui est un objet de convoitise pour les Occidentaux, depuis la découverte du pétrole et même bien avant. Ils y ont donc encouragé la montée des extrémismes religieux pour maintenir leur mainmise et compromettre la naissance d’États nationaux et souverains. Mais grâce à cet ouvrage, il ne s’agit plus de simples théories politiques, mais bien de réalités documentées.
Interview par Michel Kik sur France 24
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Préface du livre
Vers le début du XXe siècle, le chauffage au fuel, l’invention de l’automobile et de la locomotive à essence, avaient décuplé l’importance du Moyen-Orient aux yeux des grandes puissances, car c’est là que semblaient se trouver les plus grandes réserves de pétrole du monde.
Il avait déjà suscité l’avidité des rapaces quand il n’était encore question de l’utiliser que pour allumer des lampes. Il provoquera bien plus de massacres quand il pourra servir à faire marcher des machines de guerre.
Pour améliorer les performances de sa marine, l’Angleterre avait décidé de remplacer le charbon par le pétrole. Mais ses industriels n’avaient pas investi dans le pétrole.
Un Australien possédait une concession pour l’exploitation du sous-sol perse (iranien), et cherchait des capitaux pour pouvoir continuer sa prospection. Il prit rendez-vous avec le magnat français du pétrole Edmond de Rothschild. Les services anglais l’apprirent et envoyèrent un espion déguisé en prêtre catholique, qui réussit à pénétrer dans le yacht de Rothschild en prétendant vouloir rassembler de l’argent pour une oeuvre de charité. Prenant le vendeur à part, il le convainquit de céder la concession à l’Angleterre.
Bientôt le pétrole perse commença à jaillir de terre et à alimenter les chaudières de la flotte anglaise, la plus importante du monde.
Durant les années suivantes, l’Angleterre, pour protéger son pétrole, se mêla des affaires de la Perse, et aussi de celles des pays voisins, notamment ceux du Golfe.
Les Libanais, les Mésopotamiens, les Syriens et les Palestiniens vivaient sur la route du pétrole et des Indes et du canal de Suez. Et une grande partie d’entre eux réclamaient l’indépendance. Mais s’ils l’obtenaient, chacun de ces peuples prendrait ses décisions séparément, et les Anglais ne pourraient plus s’assurer le contrôle de la route des Indes et du pétrole anglais.
Inversement, si les Libanais, les Mésopotamiens, les Syriens, les Palestiniens et les Arabes du Golfe et de la Péninsule étaient soumis à un seul État islamique (califat) fabriqué par les Anglais, ils seraient régentés par une dictature fondée sur la charia, qui barrerait la route à la France, l’Autriche, la Russie, la Prusse. Mais non à l’Angleterre qui contrôlerait le calife à l’aide des officiers et des agents dont elle l’aurait entouré, et de l’or qu’elle lui verserait en abondance.
Ce n’était pas la première fois que l’Angleterre faisait cela. En 1840, pour protéger la route des Indes, elle avait fomenté au Liban une guerre civile pour élargir l’aire de domination de l’État islamique ottoman, auquel elle livra le Liban, la Syrie et la Palestine.
Elle croyait ainsi pouvoir contrôler la politique de l’État islamique et protéger la route des Indes, mais ce ne fut pas le cas.
En 1908, voyant que l’État islamique servait les intérêts de la Prusse, elle renversa le calife au bénéfice d’un parti laïque, les Jeunes Turcs.
Ces derniers n’ayant pas abandonné la Prusse, l’Angleterre décidera de les renverser en 1914 en créant un nouveau califat, qui serait arabe, et auquel elle reconnut le droit d’envahir les mêmes pays que l’État islamique arabe du VIIe siècle (exception faite pour l’Europe et les pays occupés par l’Angleterre et la France : la Perse, Aden, l’Afrique du Nord).
Pour permettre à cet État islamique arabe d’envahir les pays qu’elle lui avait promis, l’Angleterre déclarera que les peuples de la région étaient arabes et rêvaient de se soumettre à La Mecque — sans que les peuples concernés n’aient eu leur avis à donner en la matière.
En donnant une identité unique à tous ces peuples, l’Angleterre justifiait aussi son propre rapt de la Palestine et du Liban-Sud qui, dans ce royaume immense, devenaient, selon le ministre anglais Balfour, une « petite encoche » (p. 148) qu’il était possible de prendre sans causer de dommages.
Au temps où cette formule était prononcée, c’est-à-dire durant les négociations qui avaient suivi la Grande Guerre, les Anglais ne se doutaient pas qu’on les chasserait de Palestine, d’Irak et même d’Iran, et que le monstre à plusieurs têtes qu’ils avaient fortifié irait frapper un jour à Londres, à Paris, à New York même, et promettrait d’occuper Londres, Paris et New York, d’en faire des capitales islamiques, et de faire du Vatican une mosquée.
Parmi les têtes de ce monstre, les plus connues s’appellent aujourd’hui Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra.
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