Depuis plusieurs jours je m’étonne de cette effervescence autour de la démission du ministre français de la Transition écologique, Nicolas Hulot, pour la seule raison qu’on refusait de mettre une limite aux exploitations de pétrole en France.
Tous ceux qui me connaissent savent ce que je pense de cette matière immonde et savent combien je me suis vantée, durant des décennies, de ce que le Liban était le seul pays du Moyen-Orient à ne pas avoir de pétrole, à ne pas avoir de désert, et à avoir de l’eau en abondance, ce qui en faisait un paradis suscitant les convoitises de beaucoup de monde. Quand on va voir ce que l’eau du Liban, qui s’appelle Jourdain, devient quand elle quitte la frontière libanaise alors qu’elle est encore claire, limpide et bleue quand le ciel est bleu, et comment elle devient rare, sale et brune en arrivant au lieu du baptême du Christ, qui est maintenant desséché — on comprend la valeur du Liban en tant que fournisseur d’eau claire et pure aux pays voisins. Car le Liban fournit l’essentiel de l’eau d’Israël, de la Jordanie et de la Syrie, ainsi qu’une partie de l’eau de la Turquie. Et ce, par le biais du Hasbani qui jaillit des sources près du village de Hasbaya, et qui s’appelle « Jourdain » quand il passe la frontière.
Le Liban pourvoyant en vie les pays voisins, il allait de soi que je n’allais pas me réjouir d’apprendre qu’il possédait ce liquide de mort, le pétrole, qui se fabrique, dit-on, par la décomposition des cadavres sous certaines conditions. Il paraît — démentez-moi si je me trompe — que le pétrole sans plomb résulterait de la décomposition des cadavres végétaux, et que le pétrole avec plomb résulterait de la décomposition de cadavres animaux. Et comme le pétrole finit respiré par nos poumons, il est assimilé d’une façon ou d’une autre. Est-ce que le pétrole qui traverse les alvéoles de nos poumons sous sa forme gazeuse est entièrement fait de la décomposition d’animaux halal ou casher? Ou bien est-ce que tout devient halal ou casher quand c’est commode?
Je hais d’autant plus le pétrole que le Liban a été vendu pour ce liquide. Cela fait des décennies que je réfléchis, que j’écris, que j’amasse des informations à ce sujet, donc je suis vraiment dans le bain si l’on peut dire. Dans le bain poisseux.
On me dira: “Mais le pétrole est nécessaire pour faire vivre — ou marcher (cela revient au même) — les machines, l’industrie, etc.” Je le sais. Je constate que les écolos européens sont très satisfaits d’eux-mêmes parce qu’ils crient très fort, mais je ne les vois pas parler de consommer moins. Ils veulent seulement changer de type d’énergies pour pouvoir consommer autant. Ils parlent ainsi des énergies renouvelables. Oui pour les éoliennes. Sauf que la plupart du temps elles ne peuvent pas marcher, soit faute de vent, soit parce que le vent est trop fort et pourrait les briser. En outre, le bruit que font les plus grandes d’entre elles rend la vie impossible à côté, et c’est de la pollution sonore. Sans compter qu’elles déparent le paysage, n’ayant pas l’élégance des vieux moulins à vent. Quant aux barrages hydrauliques, ils brisent l’écologie en détruisant des faunes et des flores, et ils détruisent des paysages magnifiques. Il est vrai qu’un lac est beau. Mais voyez ce qu’il y avait avant.
La question de Nicolas Hulot n’était pas de renoncer à l’énergie fossile, puisqu’il a neuf véhicules dont six voitures. Elle est de renoncer à la prospection en France et au renouvellement des permis d’exploitation.
Car il est indiscutable que la prospection et l’exploitation du pétrole, cela défigure le paysage, et cela pollue.
Mais songez qu’en même temps, l’Occident pousse le Liban à prospecter pour pouvoir payer ses dettes ! (Ces dettes infligées par Rafic Hariri, que l’Occident et l’Arabie Saoudite nous ont imposé en prétendant que le gouvernement constitutionnel d’Aoun, défendu par la majorité des Libanais, était illégitime parce qu’il était présidé par un chrétien — et ça, ce sont des pays qui se disent laïques et démocratiques !)
L’Occident, donc, pousse le Liban à prospecter pour pouvoir épargner la beauté de son propre paysage — alors que le Liban est grand comme un département français, que sa seule richesse est sa beauté, et que, grâce aux réfugiés que nous ont refilés les Arabes en refusant de les prendre, nous avons un des plus hauts taux de densité au kilomètre au monde et la moitié des paysages magnifiques du Liban ont disparu pour laisser place à des immeubles horribles —, on se demande combien il est écologique sur le plan mondial, de détruire ce pays sur le plan de son paysage, de sa faune et de sa flore, après l’avoir détruit politiquement et humainement, et après y avoir entreposé la dioxine de Seveso, dont aucun pays européen ne voulait.
Faire du Liban le dépotoir du monde après en avoir fait son bouc émissaire, cela revient au même. Le bouc émissaire, c’est celui qui prend la saleté des autres et qui est accusé d’être sale et laid.
Toutes choses que Nicolas Hulot n’explique pas au public français quand il parle de son “dégoût”. Car il est indiscutable que la France qui voudra protéger son paysage, même là où ne vit personne, ne s’intéressera pas au paysage libanais, là où vit tout le monde. Elle achètera le pétrole du Liban, si le Liban le lui propose.
Peu importe à Nicolas Hulot que Nabih Berri, chef de bande promu ministre par les puissances étrangères, soit le premier à en profiter pour se remplir les poches.
Peu importe à Nicolas Hulot que cette extraction du pétrole se fasse au Liban-Sud (la nappe maritime étant partagée avec Israël), et donc que cela pollue une partie des ruisseaux qui vont se jeter dans le Jourdain dont vivent deux pays. Car si le pétrole se trouve en mer, son transport, stockage et raffineries se feront sur le sol libanais, et les marées noires se feront sur la côte libanaise, à l’endroit où elle est encore belle et non défigurée par les détritus et les promoteurs: le Liban-Sud.
Lina Murr Nehmé, 31 août 2018
Photo de Nicolas Hulot : AFP