Joumblatt a qualifié de “racisme” le renvoi des réfugiés syriens dans leur pays, où la majorité du territoire ne connaissait plus la guerre. Pourtant, il s’agit d’une question existentielle, puisque ces réfugiés sont pour beaucoup dans la crise actuelle. Acceptant de bas salaires, ils ont pris beaucoup d’emplois qu’occupaient des Libanais qui se sont retrouvés au chômage. Ils ont leurs besoins en eau, en électricité, dont ils tirent plus de 40 % de façon illégale. Une partie du rationnement en électricité est due à cela. Plus de 200.000 enfants sont scolarisés dans les écoles gouvernementales libanaises, qui, nécessairement, n’avaient pas autant de places de libres.
Grâce aux ONG, les enfants syriens ont la priorité, et beaucoup d’enfants libanais, n’étant pas ainsi soutenus, ne trouvent plus de place à l’école. Sans compter le danger potentiel que représente l’existence, au Liban, de plus de 200.000 réservistes syriens qui pourraient être armés et se battre. Les amateurs de djihadistes levantins ne manquent pas. Or les ONG paient aux Syriens de l’argent s’ils sont au Liban, mais non s’ils rentrent chez eux. Cela les fixe au Liban.
C’est notamment en juin 2018, quand le gouvernement libanais étudiait les moyens de renvoyer ces réfugiés, que Joumblatt a parlé de “racisme”. Il y a eu un tollé au Parlement. Le ministre libanais de la Défense a publié ce fac-similé datant de 1989, d’une interview de Joumblatt disant au Figaro qu’il préférait la botte des Syriens à celle des maronites. C’est-à-dire l’occupation à la Présidence d’un chrétien maronite. Pourtant, le Président n’est maronite que parce que c’est la communauté la plus nombreuse au Liban, à condition de compter les Libanais qui exercent la liberté de déplacement que leur octroie la Constitution, en ne résident pas nécessairement au pays.
Que de trahisons anciennes ont été oubliées! Et comment expliquer que Joumblatt soit l’homme avec lequel les grandes puissances occidentales aiment le plus traiter? Nonobstant le fait que c’est le seul criminel de guerre qui, au Liban, ait commis un génocide (en 1983). Pour cela, il a accepté les ordres, l’argent et les armes fournis par la Syrie et l’Union Soviétique. Et il a introduit des armées syrienne et palestinienne dans la montagne pour massacrer ses compatriotes.
Qui est plus criminel? Joumblatt ou les chefs et les médias occidentaux qui le prennent au sérieux quoi qu’il fasse? Et qui ne signalent jamais au public qu’il est un criminel de guerre, un hors-la-loi qui échappe à la justice de son pays parce que l’Occident le soutient?
Pourquoi aiment-ils tant traiter avec lui? Probablement parce que, comme l’a raconté Yves Bonnet, ancien chef de la DGSI, Joumblatt se vend aux services secrets étrangers (et donc aussi à leurs politiciens). Il fait ce qu’ils veulent. Il est une courtisane de luxe, qui n’a même pas honte d’avouer qu’elle se vend, puisqu’il est si fort de la force procurée par les grandes puissances. (On trouvera des interviews de Joumblatt avec ses aveux concernant le fait que la Libye, la Syrie et l’Union Soviétique l’aient payé et armé, cités dans mes livres “Le Liban assassiné”, et “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”.)
A noter que Joumblatt s’est retourné quand les grandes puissances se sont retournées contre les Syriens. Il a même appelé à un génocide des druzes de Syrie, sous prétexte que ces derniers ne combattaient pas leur régime. C’est que, en Syrie, les minorités sont toutes opposées à al-Qaïda (Nosra) et à l’ASL, qui professe la même doctrine et use des mêmes méthodes. Obligatoirement, elles seront avec le régime contre ces terroristes. Contrairement aux puissances occidentales qui soutiennent Joumblatt et ses pairs, contre l’Etat libanais. Une histoire qui dure depuis des décennies.
L’Union Soviétique a changé, le régime syrien a changé, la Chine a changé, et l’Etat islamique est né. Mais l’amour des politiciens occidentaux pour Joumblatt demeure.
Des milliers de manifestants avec casseurs se sont rués contre le palais du Premier ministre et celui du Président de la République en criant le slogan du Printemps Arabe: “Le peuple veut la chute du système”.
Mais mystérieusement, ils ont soigneusement calculé leur trajectoire. Je traduis donc ce petit post que j’ai vu sur la page d’un ami:
“Insurgés! Le Liban vous interroge. Vous dites que vous en avez contre tous les politiciens, et que vous voulez bien dire ‘tous’. Alors expliquez-nous comment se fait-il qu’aucune manifestation ne se soit dirigée contre Aïn Tiné (Nabih Berri), Mokhtara (Joumblatt), Meerab (Samir Geagea), Bnecheéi (Sleiman Frangié)?
C’est vrai, il serait intéressant d’avoir la réponse à cette question. Déjà, hier, Joumblatt avait attiré mon attention en disant à Saad Hariri: “Démissionnons ensemble”. Mais Joumblatt sait qu’il reviendrait au pouvoir, et que si Hariri se retirait, c’en serait fini de sa carrière. Car Joumblatt est mieux introduit auprès du roi d’Arabie, que Saad Hariri! C’est lui qui, il y a quelques années, a dit au roi de ne pas nommer Hariri, mais Salam. (Il l’a raconté dans une conférence de presse.)
MBS est furax. MBS n’aime pas Saad Hariri. Il ne veut pas de lui comme gouverneur du Liban. Il se sent le dindon de la farce. Il a ruiné Saad Hariri, mais celui-ci s’est entendu avec le général Aoun pour amener celui-ci au pouvoir. Or MBS avait jeté son dévolu sur Sleiman Frangié et empêchait depuis plus d’un an l’élection d’Aoun. Car c’est lui que voulaient la majorité des chrétiens, qui avaient voté à 55% pour lui. Mais il n’était pas question qu’un chrétien ayant un poids électoral, occupe le siège présidentiel, puisqu’il avait été décidé que les chrétiens seraient des dhimmis. L’alliance d’Aoun avec Hariri a mis MBS hors de lui.
Il a donc obligé Hariri à démissionner. Mais encore une fois, Aoun l’a rendu furieux… en sauvant Hariri. Il a ainsi usé de la seule prérogative dont l’Arabie Saoudite n’ait pas dépouillé le Président chrétien: le pouvoir d’accepter la démission du Premier ministre. Aoun a refusé la démission d’Hariri, prisonnier avec sa famille en Arabie, et il a demandé à Macron d’aider à le libérer. Macron est intervenu auprès d’MBS et a obtenu la libération d’Hariri. Aoun a ainsi rapproché la majorité des sunnites de la majorité des chrétiens.
Mais bien sûr, l’Arabie Saoudite ne veut pas d’union au Liban! Elle veut diviser pour démanteler, car sans cela, les chrétiens resteraient toujours forts, même s’ils n’étaient plus que cent.
Maintenant, MBS avait sa troisième possibilité de se débarrasser d’Hariri, et aussi d’Aoun. La hausse des taxes exigée par la communauté internationale, le pillage durant des décennies ayant mis le Liban au bord de la faillite — aurait, certes, dû frapper d’abord les plus riches.
Mais si les insurgés exigent cette justice — et ils ont raison —, ils devraient avoir la justice de frapper les plus corrompus, ceux qui ont participé au plus grand nombre de Cabinets de la corruption d’après Taëf.
Le champion est Nabih Berri, président du Parlement. Il était pauvre, et il est riche. Les pauvres ont bien manifesté contre lui à Tyr en criant: “Berri voleur, Berri voleur”. Comment se fait-il qu’aucun d’eux n’ait songé à marcher sur son palais truffé d’objets précieux? Il n’y a pas eu un des 17 Cabinets de la corruption d’après Taëf, auquel Berri n’ait pas participé.
Après lui vient Joumblatt, qui a avoué avoir volé l’argent des réfugiés, et qui a fait tuer, parfois à la hache, 3000 chrétiens, et qui a également tué des centaines de druzes. Il ne s’est trouvé ni chrétiens, ni druzes pour l’attaquer !
Après lui vient Frangié, auquel on pardonne beaucoup parce que lui-même a pardonné à Geagea, le tueur de son père, et parce qu’il a protégé ses propres ennemis chrétiens, sous l’occupation. Il n’empêche qu’il a participé à la plupart des Cabinets de la corruption. Lui non plus n’a trouvé personne pour marcher contre lui?
Et comment se fait-il que Geagea qui tuait des centaines de chrétiens en leur coulant du béton sur les pieds et en les jetant dans la mer (lire le récit de celle qui fut alors sa secrétaire, Régina Sneifer), qui a fait fortune en rackettant les passants et les camions sur le barrage de Barbara, qui a vendu le sol libanais pour y mettre la dioxine de Seveso dont aucun pays ne voulait, et qui l’a mise dans des barils qui fuyaient; qui a divisé les chrétiens et a combattu pour la Syrie contre eux en 1990 (cf. ses lettres que j’ai publiées dans mon livre “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”), comment se fait-il qu’il ne trouve personne pour manifester contre lui, alors qu’il a été condamné à mort pour l’assassinat de Tony Frangié, de Rachid Karamé, de Dany Chamoun, et qu’il a essayé d’en tuer beaucoup d’autres, dont Gébran Tuéni, qui a témoigné à ce sujet, et a probablement dû sa mort à ce fait?
Expliquez-nous, bonnes gens, la sélectivité de votre fureur. J’aimerais bien savoir. Car dès leur éclatement, ces émeutes m’ont fait penser à celles provoquées par Geagea et Joumblatt pour faire tomber le gouvernement d’Omar Karamé et amener Rafic Hariri au pouvoir. Tragique ironie des faits, que le même scénario qui a mené le père au pouvoir, resserve aujourd’hui contre le fils.
Quant à Aoun, ayant été exilé entre 1990 et 2005, il n’a pas participé à ces gouvernements de la corruption, y compris à celui de 2005, parce qu’ils n’ont pas voulu lui donner un nombre de ministres proportionnel à son poids électoral. Sa participation a été plus tardive, et il n’avait pas le ministère des Finances.
Donc, manifestants, si je comprends bien, vous attaquez ceux qui sont le moins responsables, parce que ceux qui sont le plus responsables vous font peur ou (et) vous paient? Rappelons-nous cette dépêche de Wikileaks montrant Samir Geagea mendiant de l’argent à l’Arabie Saoudite pour avoir de quoi entretenir ses miliciens et combattre le général Aoun. Cette dépêche avait fait grand scandale il y a très peu d’années, rappelez-vous. Tout cela a été oublié, et aucun de vous ne va attaquer Meerab? Admirables, votre justice et votre irréprochabilité!
Addendum :
Ce qui confirme ma comparaison avec 1992 et les manifestations de Geagea et de Joumblatt pour faire tomber Omar Karamé et amener Rafic Hariri, ce sont les appels justement de Joumblatt et de Geagea à manifester “contre ce régime corrompu” (!)
Quant à Sleiman Frangié, il a été le seul ministre à avoir refusé l’argent de Rafic Hariri pour vendre le centre de Beyrouth et en exproprier les propriétaires au profit de la société privée d’Hariri, Solidere. Mais Sleiman a récemment été candidat à la Présidence, avec l’accord de l’Arabie.
Quant à Joumblatt, qui appelle à une démission générale, combien de dizaines de fois a-t-il dit une chose avant de faire un revirement à 180°? S’il est capable de faire nommer par le roi d’Arabie le Premier ministre du Liban et de venir s’en vanter dans une conférence de presse au Liban, et que les gens du 14 suivent la consigne et entérinent le choix du roi d’Arabie en nommant Salam, comment espérer qu’un tel homme ne revienne pas au pouvoir ? Le pouvoir le grise, l’argent le grise, il ne peut vivre sans eux. Même le sang le grise. Plusieurs de ceux qui l’ont fréquenté racontent qu’il dit parfois en posant son arme: “Il n’y a que deux choses qui comptent: ça et le dollar”. Joumblatt sait que s’il perdait sa puissance politique, il perdrait aussi la vie. Quant à ses retournements, est-ce qu’on ne le comparait pas à une machine à laver qui ne fait que tourner? Qui leur interdira de se représenter ? Les grandes puissances? Ce sont elles qui nous les ont imposés. Le peuple? On l’a mis dans une telle situation de misère qu’il en soit réduit à accepter leur argent qu’ils lui ont volé.
Que faire ? Il faut exiger que les grandes fortunes soient taxées, que les sources de revenus des gens comme Joumblatt et Berri, qui ont participé au plus grand nombre de Cabinets, soient examinées, que les voleurs de l’occupation cessent d’être protégés en n’étant pas attaqués par une foule qui parle de justice mais ne les attaque pas. Et je propose, surtout, le civisme. Une révolution réussit quand elle a pour but l’amour, comme c’était le cas en 1989. Elle ne réussit pas quand elle a la haine pour moteur. Examinez toutes les révolutions suscitées par la haine, et vous verrez combien le peuple qui les a faites a souffert ensuite de la main de ceux qu’il a portés au pouvoir. Non. une révolution doit se faire lucidement, en réfléchissant et non en se laissant porter par les sentiments. Car les sentiments, une chaîne de télévision peut vous les susciter. Cela ne veut pas dire que ce sont vos vrais sentiments. La seule chose qui vienne vraiment de vous, c’est votre acte réfléchi, et votre décision de le suivre. Certes, le peuple a faim, mais il aura davantage faim s’ils cassent le pays et si le même scénario qu’en Tunisie, en Egypte et en Syrie se poursuit et s’ils subissent une dictature comme là-bas.
1er septembre 1983: commencement des massacres des chrétiens du Chouf
au Liban, à l’anniversaire du début de la 2e guerre mondiale et des
massacres de Pologne.
Une armée représentant quatre nations — américaine, française, anglaise et italienne — était là soi-disant pour aider les civils. En fait, c’était pour aider les civils palestiniens seulement. Quand il s’agit des civils chrétiens, Mitterrand argua la clause de non-intervention en-dehors de Beyrouth. Or à Beyrouth, les chrétiens n’étaient alors pas en danger d’être massacrés. Mais on savait qu’ils le seraient au Chouf, dès que les Israéliens se retireraient, car ceux-ci avaient laissé subsister deux armées, et il était évident qu’après leur départ, la plus forte des deux tuerait les civils de l’autre. Et la plus forte, c’était évidemment celle de Joumblatt, puisqu’il était l’homme des Syriens. En un jour, ses miliciens, quelques centaines, devinrent 2000, après l’entrée de soldats syriens et palestiniens au Chouf.
Les massacres du Chouf furent un nettoyage ethnique total, qui dura un mois. Tous les deux ou trois jours, il y avait un nouveau massacre. 60 villages furent ainsi nettoyés de toute présence chrétienne, alors que les chrétiens étaient majoritaires dans ce territoire. 60 Oradours-sur-Glane. Les églises furent brûlées ou démantelées, leurs pierres de taille étant utilisées pour construire les beaux murs des routes du Chouf. Les cloches disparurent durant des années pour empêcher les chrétiens, s’ils reconstruisaient leurs églises, de les faire sonner. Joumblatt, qui avait un goût artistique acéré, fit main basse sur les icônes des églises et des couvents pour orner sa maison. (Il les rendit sur l’intercession de hauts personnagesTrès longtemps après, les chrétiens survivants furent autorisés à rentrer chez eux et à reconstruire leurs maisons brûlées. Joumblatt avait réussi à se faire nommer ministre des réfugiés, et il exigea beaucoup plus d’argent pour ses druzes qui avaient squatté les maisons des chrétiens, que pour ces derniers, privés de leurs biens et des fruits de leurs arbres.
Entre-temps, le mal était fait. Les chrétiens n’ont reconstruit au Chouf que des résidences secondaires, n’osant pas y revenir. D’ailleurs, celui qui a fait sa vie en ville durant vingt ans ne revient pas s’installer en montagne.
Ce qui a initié la solution du contentieux est la montée du patriarche Sfeir au Chouf, dans les années 1990. Au Liban, la réconciliation se fait traditionnellement de la façon suivante: le tueur vient se livrer entre les mains de la famille de sa victime. C’est elle qui lui donne le pardon et le relâche, et il est en sécurité. C’est ainsi que se font les réconcilisations au Liban. Le patriarche Sfeir, lui, a marché sur la dignité des victimes, et il est tout à fait normal que Joumblatt dise tant de bien de lui. C’est ainsi que les dhimmis allaient autrefois se concilier leurs massacreurs, et Joumblatt aime qu’on se soumette à lui. Ne disait-il pas des maronites (ou des chrériens en général?) il y a quelques années: “C’est une mauvaise race”. Il se faisait filmer, et la vidéo a circulé. Voyant le pays scandalisé, il a dit que ce n’était pas fait pour être diffusé. Mais l’Occident n’a pas cessé ses relations avec lui.
N’a-t-il pas également appelé à tuer tous les druzes de Syrie parce qu’ils ne prenaient pas le parti de Daech et Nosra? Aucun homme, au Liban, n’applique le fascisme et le racisme à l’état pur, comme lui. Que gagne l’Occident à honorer un individu qui décrète l’extermination de tout un groupe humain sur base confessionnelle — et qui exécute cette sentence quand il en a le pouvoir? C’est lui qui, récemment, commettait un assassinat parce qu’un rival druze était monté au Chouf sans lui en demander la permission. Est-ce qu’un pays vous appartient du simple fait que vous avez exterminé ou déporté 60% de sa population? C’est un raisonnement hitlérien. Pourquoi l’Occident favorise-t-il des Hitler locaux?
Il est honteux que les chefs d’Etat occidentaux, connaissant tous ces crimes, aient continué à traiter avec Joumblatt, tout en sachant qu’en plus, il obéissait aux ordres de la Syrie. Quelques semaines après le génocide du Chouf, Mitterrand le reçut à l’Elysée, à égalité avec le Président de la République élu. Et il serra sa main tachée de sang chrétien. Il fit le même accueil à l’autre larron, Berri, qui avait envahi Beyrouth-Ouest, sans toutefois commettre de nettoyage ethnique.
Pour expliquer à mes amis la situation, il faut signaler que ces deux hommes ont été propulsés par Khaddam, le haut-commissaire syrien, en même temps que le Hezbollah, et à la même époque: en 1982-1983. Khaddam avait également des poulains chrétiens, et il a utilisé tout ce monde pour créer le chaos. Or c’est avec les hommes de la Syrie que l’Occident traitait, et avec eux seuls, au détriment de l’autorité légitime libanaise. J’ai fait il y a quelques semaines une conférence privée, enregistrée, sur l’histoire de la guerre du Liban. Elle est un peu longue, mais elle explique les choses de façon claire, en remontant au choc pétrolier de 1973, qui a causé la guerre du Liban.
Mitterrand a reçu Joumblatt et Berri à l’Elysée, à égalité avec le Président libanais, sous prétexte que ce dernier était chrétien. Mais au Liban, on ne dit pas “le Président chrétien”, on dit “le Président” tout court. Et quand on dit “Président”, on implique tout le pays et non une confession.
En faisant le contraire, en recevant deux hors-la-loi, chefs de milices confessionnelles, à égalité avec le Président légitime, Mitterrand a consacré dans les chancelleries et dans les médias la fable d’une division du Liban qui n’existait que dans son esprit, et qui a donné naissance au mot “libanisation”, alors qu’il n’y a jamais eu de division humaine sur le terrain. Il y avait seulement l’armée syrienne qui faisait occuper des parties du Liban par ses hommes de paille libanais interposés, en prétendant que le Liban était éclaté. Mais encore une fois, dans mes livres j’ai publié les preuves du contraire.
Ni Joumblatt ni Berri ne représentaient leurs communautés respectives. Les chiites dans leur majorité à l’époque, refusaient Berri. Et les meilleurs druzes refusaient Joumblatt. (Cf. le témoignage de l’un des druzes les plus considérables à cette époque, cheikh Farid Hamadé, que j’ai traduit dans mon livre “Quand les Anglais livraient le Levant à l’Etat islamique”, dans lequel je raconte l’histoire de la famille Joumblatt, entre autres. Il raconte comment Walid Joumblatt, après avoir massacré les chrétiens, a massacré des centaines de druzes qui lui étaient hostiles.) Si cela plaisait à Mitterrand de traiter avec des hors-la-loi impopulaires à l’exclusion des hommes populaires, c’est peut-être digne de son passé de collaborateur. Mais cela ne change pas la réalité de ces hommes et la haine que leur vouait alors le peuple.
En réalité, cela arrangeait les grandes puissances de prétendre que ce qui arrivait au Liban n’était pas une guerre d’extermination dirigée contre une nation, mais une guerre civile, un éclatement, une implosion. Ainsi pouvaient-elles laisser faire le massacre sans intervenir. Car il fallait satisfaire le roi qui avait voulu cette guerre et en avait financé l’essentiel: Fayçal d’Arabie. Et satisfaire les roitelets arabes qui faisaient aussi chanter l’Occident avec des contrats d’armement…
Tout cela se paie aujourd’hui. Les Israéliens savaient que les fedayine avaient commis des crimes contre l’humanité au Liban, puisqu’ils les ont alors publiés. Et ils les ont laissés partir sans jugement en 1982, parce que Mitterrand le voulait. Mais pourquoi poursuivre les criminels de guerre nazis après cinquante ans, quand ils les toléraient sur place, et qu’ils les avaient sous la main?
Et Joumblatt, n’avait-il pas commis des crimes contre l’humanité sous les yeux de la communauté internationale présente sur place? N’avait-il pas fait assassiner, égorger, tronçonner à la hache 3000 civils hommes, femmes et enfants? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de tribunal international alors, et il y en a eu pour le seul Rafiq Hariri, qui n’était alors même pas Premier ministre?
Toutes les horreurs qu’on voit arriver maintenant dans le monde en matière de terrorisme et d’islamisme, remontent à tous ces abandons. Moi, franchement, je suis au-dessus du nationalisme étriqué. Défendre la France, la Pologne, le Liban ou n’importe quel autre pays m’est égal, pourvu que la cause soit juste. Je ne raconte donc pas ces choses comme étant concernée personnellement, sauf en tant qu’être humain. J’étais là-bas, et j’ai entendu les récits et la détresse des réfugiés, j’ai vu la cruauté des massacres, et le mensonge des alliés. On ne peut pas, à moins de trente ans, être témoin de tout cela, et rester de glace. Sinon, on n’est pas un être humain, on est un monstre. Je connais des réfugiés du Chouf qui vivent depuis 1983 dans un local gouvernemental qu’ils squattent. Une famille qui vivait, père, mère, quatre enfants, dans une seule pièce sans fenêtre. Le père est mort. Des enfants sont partis. il y a des petits-enfants, et la femme que j’ai connue, devenue handicapée, est toujours dans cette chambre. “Pourquoi ne rentrez-vous pas chez vous? — Il n’y a pas de sécurité. Et les druzes qui ont habité dans ma maison durant 25 ans, ont beaucoup sali, il y a beaucoup de choses abîmées. Cela coûte trop cher de restaurer.” Ils auraient restauré au fur et à mesure s’ils étaient restés dans cette maison, mais venir restaurer, en une seule fois, les dégâts causés par d’autres durant 25 ans d’usage… l’Etat libanais ne donnait pas assez d’argent pour cela.
Les chancelleries savaient tout ce qui se passait au Chouf, et elles savaient que c’étaient essentiellement des armées étrangères. Pour les preuves, voir mes livres “Le Liban Assassiné” et “Du règne de la Pègre au réveil du Lion”. Elles auraient pu sauver ces milliers de civils en démasquant les criminels. Elles n’ont pas bougé mais ont collaboré avec eux, n’étant pas humainement choquées, visiblement. La raison d’Etat? Est-ce que la raison d’Etat, concernant alors le pétrole et les contrats d’armement, mérite de voir mourir des milliers de civils tués à la hache, et de s’abaisser à serrer les mains au petit Hitler qui les a tués et de le recevoir à l’Elysée?
C’est en voyant l’humanité ainsi traînée dans la boue que j’ai pu, dès 1976, prédire que cette guerre se transporterait en Occident, et spécifiquement, en France. Car, quand on honore des Hitler chez le voisin, chez l’ami, on doit s’attendre à les voir débarquer chez soi, sous la même forme ou sous une autre, et sous un autre nom. Je suis bien désolée d’avoir eu raison: les mêmes stratégies utilisées par les Palestiniens contre le Liban sont actuellement utilisées en France, contre la France, les mêmes exactement. Il est vrai que les principaux financiers ont d’abord été les Saoudiens, en France comme au Liban, en Syrie et ailleurs.
J’écris cela alors que les bombes tombent au Sud, et alors qu’une nouvelle guerre peut être déclenchée.
Je comprends l’importance du pétrole pour l’Occident. Mais je crois que sa survie devrait être plus importante pour lui que son confort, ou même, son économie. Car le problème a quitté le domaine économique, il est devenu existentiel. On ne vend pas son bouclier, on ne vend pas sa poutre maîtresse pour faire du feu.
À l’occasion je publie pour la première fois une photo d’un tableau exposé en 1984, et fait pour commémorer le massacre de Bmariam, le 1er septembre 1983. Ne me demandez pas qui c’est: c’est inspiré par les horribles récits des réfugiés. A cette époque je voulais faire un tableau par massacre. Mais il y a eu trop de dizaines de massacres de chrétiens au Liban. J’ai abandonné l’idée après avoir fait quelques tableaux, dont celui-ci.
Lina Murr Nehmé, 1er septembre 2019, 36e anniversaire du massacre de Bmariam.
N.B. : Cet article a été publié sur Libnanews le 24 juillet 2011. Lien vers l’archive.
Lina Murr Nehmé, 24 juillet 2011, Beyrouth – On a découvert une fosse commune dans un terrain appartenant à un couvent à Chebaniyeh. Puis on nous a dit que ce ne sont que des os animaux jetés par un boucher.
D’abord, les os animaux ne sont pas jetés (les bouchers les donnent ou les vendent pour la soupe et le bouillon).
Quelle que soit la nature de ces ossements, il est inacceptable qu’une partie de la presse n’ait pas le droit de les approcher pour les examiner.
Et de toute façon, il est inadmissible que quiconque se mêle d’affaires de ce genre avant le procureur et les ministères concernés, le premier étant le ministère de la Justice. Où est le ministère de la Justice en ce moment?
Et le témoin a parlé de 27 sacs d’ossements. Or 26 n’ont pas été trouvés. Où sont-ils?
Ceci nous rappelle la tragédie de la fosse commune de Halate. On nous avait dit qu’il n’y avait pas d’ossements, car ceux qui avaient creusé la terre avaient refusé de tenir compte des indications des témoins, et ils avaient creusé là où il était impossible de trouver quelque chose.
En 2000, lors de l’enquête faite par l’Etat libanais, Joumblatt et Berri ont reconnu qu’ils avaient tué tous les otages qu’ils avaient enlevés. Dans ce cas, ils doivent être dans une (ou des) fosses communes. Si la fosse comune de Chebaniyeh n’est pas un endroit où sont enterrés des hommes, où sont les fosses communes contenant les cadavres des Libanais tués par Joumblatt, Geagea ou Berri durant la guerre?
La légèreté et la vitesse, le manque de professionnalisme avec lesquels l’affaire est menée, sont inquiétants pour le futur. Car le jour où il y aura une vraie fosse commune d’ossements humains, il y aura de fortes chances pour qu’on la bouche avant que le ministère de la Justice s’en soit mêlé.