En cette fête de l’indépendance, je regarde la photo d’une fille qui était belle avant de se mutiler en faisant exploser son corps pour tuer des civils ennemis. Je songe à ce qui reste des corps de jeunes gens qui se sont décapités eux-mêmes dans un but similaire, et j’ai le cœur serré.
Je regrette qu’ils n’aient pas compris la vérité.
J’ai toujours pensé que la divinité qui aurait créé l’homme, ne pouvait pas ordonner la haine et le meurtre, puisque cela détruisait son œuvre. C’est pour cela, me disais-je, que le Dieu de la Bible a dit : « Tu ne tueras pas. »
Le meurtre est un crime, il n’est pas un martyre.
En voyant tous ces peuples se venger de façon plus ou moins terrible, je pense que personne n’a souffert autant que nous autres, Libanais, et souffert, surtout, parce que notre souffrance n’était pas prise en compte, et pas même racontée. On a fait de nous des bourreaux de nos bourreaux. Il n’y a pas plus horrible que de passer pour un bourreau quand on est une victime.
Malgré tout cela, nous n’avons jamais utilisé le terrorisme contre qui que ce soit. Malgré tous les malheurs qui ont frappé le Liban au cours des âges, il n’est jamais devenu violent. Il n’a jamais agressé personne. Au contraire, il a toujours eu pitié de ses ennemis, venant à leur secours quand ils souffrent.
L’armée libanaise préfère même risquer la vie de ses membres plutôt que de tuer des civils ennemis. Elle ne se contente pas de leur donner des avertissements avant les bombardements : elle assure le transport de chacun d’eux, et ne commence la bataille que lorsqu’ils ont tous été évacués.
Et ce travail humanitaire lui coûte du sang. À Nahr al-Bared, par exemple, elle a mis une semaine à évacuer les civils ennemis. Beaucoup de soldats ont été blessés et deux d’entre eux tués en sauvant les civils de l’ennemi qui venait d’égorger et d’éborgner 20 de leurs compagnons dans leur sommeil.
Vive l’armée libanaise,
Vive le Liban.
Vive les valeurs du Liban, de son armée et de son peuple.
Avec l’espérance de la résurrection du pays dont la noblesse, la magnanimité et la moralité ne meurent jamais. Et surtout, Liban, ne change pas de symbole, ne change pas de drapeau, et ne change pas d’hymne national.
L’armée libanaise victorieuse comme d’habitude. Daech s’est rendu. Reste le sort des soldats enlevés il y a trois ans. L’Etat islamique les avait filmés sous son drapeau et avait envoyé la vidéo pour montrer qu’ils étaient vivants. Il avait menacé de les tuer, et il a probablement mis sa menace à exécution. L’armée libanaise a accepté un cessez-le-feu pour négocier leur retour, ou au moins, celui de leurs dépouilles. Ce sera la fin du calvaire de leurs familles. Cette tragédie aurait été épargnée si les politiciens ne s’en étaient mêlés, sur la volonté de puissances étrangères.
2 septembre 2017
L’armée libanaise a proclamé que son but dans la bataille était:
1- de libérer ses soldats otages ou d’avoir leurs dépouilles.
2-de faire sortir Daech du Liban.
Les deux buts ont été accomplis.
Quand le gouvernement libanais a commencé à négocier avec Daech pour avoir ses soldats otages, le gouvernement syrien a dit que cela se passait chez lui et qu’il n’y aurait pas de négociations sous la table sur son territoire. Le gouvernement libanais ne parle pas avec le gouvernement syrien, donc le Hezbollah a joué les médiateurs entre le gouvernement libanais et le gouvernement syrien pour qu’on puisse récupérer les otages. Et dans le package deal, les 500 djihadistes de Daech survivants (l’armée libanaise en avait tué 200 avant qu’ils se rendent), faisaient un déplacement vers des régions qui leur sont amies comme il s’en fait dans tous les accords qui se font en Syrie depuis plusieurs mois. Il n’y a là rien de si extraordinaire. Ils se sont déplacés, ils seront vaincus là-bas.
Quant à la puissance du Hezbollah, elle est véritable, mais sur le plan militaire seulement. Ma question est: pourquoi est-ce que les grandes puissances interdisent à l’armée libanaise d’avoir un matériel aussi performant que celui du Hezbollah de façon à désarmer le Hezbollah? Et comment les armes sont-elles parvenues au Hezbollah? Par l’opération du Saint-esprit? Ou par voie terrestre au vu de tous les espions, de tous les services de renseignement et des satellites espions? Les Américains n’ont-ils pas laissé passer les camions d’armes venus d’Iran pour le Hezbollah, y compris ceux qui sont venus depuis le début de la guerre occidentale des Américains et des Français contre Daech?
Et ma dernière question: pourquoi laisser les chiites et les sunnites à la fois avoir des armes aussi importantes? N’est-ce pas qu’il y a une volonté de garder les deux camps (les sunnites et les chiites) assez forts pour qu’ils se battent en permanence ? car si l’un des deux camps perdait sa force, il n’y aurait pas de guerre.
Pour ceux qui ne comprennent pas ce que vient faire Daech au Liban, il y a maintenant exactement 3 ans qu’il s’y trouve dans le cadre de son invasion mondiale, qui devait naturellement commencer par Cham (Liban-Syrie-Israël-territoires palestiniens-Jordanie) avant de se poursuivre dans les autres pays, notamment par voie maritime, par le biais des ports du littoral syrien, libanais ou israélien, notamment : Lattaquié, Tripoli, Beyrouth, Sidon, Haïfa, Jaffa, pour arriver, plus au sud, à Eilat et au canal de Suez. Pour la même raison, Nosra, qui s’est attribué Cham, tentait une invasion du Liban et de la Jordanie.
Les deux organisations, toutes deux issues d’Al-Qaïda, se combattaient en Syrie, mais au Liban, elles étaient alliées.
L’invasion aurait dû être stoppée à la frontière libanaise. Mais à l’époque, les pressions saoudiennes, qatari et autres (bakchich notamment), sur le gouvernement et sur le commandant en chef de l’armée, Kahwaji (qui espérait devenir président de la République), ont poussé ce dernier à laisser précipitamment partir en Syrie les Daech et les Nosra qui se trouvaient dans la localité d’Ersal et les prairies voisines (Jouroud Ersal), alors, pourtant, que l’armée libanaise était victorieuse. Les islamistes avaient des otages, soldats et gendarmes libanais, et dans sa précipitation, Kahwaji les a laissés partir en négligeant de leur faire d’abord rendre les otages.
Durant les jours suivants, Daech et Nosra ont exigé la libération de tous les prisonniers islamistes dans les geôles libanaises, en menaçant d’exécuter les otages si le gouvernement libanais n’obtempérait pas. Ce qu’ils firent quelques jours plus tard, en prenant soin d’envoyer des vidéos ou des photos horribles pour faire chanter le gouvernement libanais.
Le premier martyr a été un soldat libanais sunnite appelé Ali Sayyed. Daech l’avait égorgé de la façon la plus horrible et avait fait circuler la vidéo au Liban.
Furieux, des jeunes gens sont allés brûler les drapeaux de Daech et Nosra sur la place la plus fréquentée de Beyrouth par les jeunes. Ils ont diffusé les photos sur les réseaux sociaux, mais elles n’ont circulé qu’entre leurs amis.
Quelques jours plus tard intervint le ministre de la Justice Achraf Rifi, alors un des plus puissants sunnites du Liban. Son nom était proposé pour devenir Premier ministre, et son soutien était essentiellement formé par les islamistes qui terrorisent la ville libanaise de Tripoli. Pensant se faire remarquer par les Etats souteneurs de Daech (alors l’Arabie et le Qatar) qui pouvaient l’amener au pouvoir, il annonça, le 30 août 2014, que puisque les phrases de la chahada islamique étaient inscrites sur les drapeaux de Daech et Nosra, il réclamait la prison et les plus grandes peines pour châtier les jeunes gens qui les avaient brûlés.
Le pays étant révolté par les concessions faites aux terroristes et par l’horreur de la mort d’Ali Sayyed, la déclaration de Rifi fut un comble.
Il aurait dû y avoir des dizaines de manifestations, il n’y en eut aucune. Il y avait à la fois un climat de révolte et de peur. Peur parce que Daech était à moins de 100 kilomètres de Beyrouth, et parce qu’il semblait tout puissant : il avançait à toute vitesse, et annonçait qu’il allait prendre Beyrouth. Et révolte parce que le pouvoir ne donnait pas à l’armée libanaise l’ordre de poursuivre la bataille, alors qu’elle le pouvait.
Je cherchai toute la journée à organiser une manifestation, sans succès. Alors j’ai pris sur Internet une photo d’un drapeau de Daech, je l’ai agrandie, imprimée et agrafée sur un manche à balai. Un inconnu me regardait curieusement du balcon d’en face, j’ai tiré les rideaux du balcon et j’ai collé un drapeau libanais dessus. Et j’ai commencé à brûler le drapeau agrafé en me faisant photographier, jusqu’à ce que le drapeau finisse de se consumer.
Puis j’ai mis une des photos sur Facebook. Je croyais que tout le monde mettrait, comme moi, sa photo brûlant le drapeau de Daech sur Facebook. Mais au lieu de cela, les gens partagèrent ma photo, et cela flamba à toute vitesse.
Le lendemain, tout le pays en parlait, on en parlait dans le monde entier, mais pas dans les grands médias libanais, qui avaient peur. Les journalistes en privé partageaient ma photo ou écrivaient sur des pages Internet. Mais dans les grands journaux, silence complet. Sauf dans les journaux de l’étranger : “Al-Ahram”, qui mit mon nom mais n’avait pas osé mettre ma photo, “Libération” qui publia ma photo mais pas mon nom, etc.
Un groupe de jeunes, dont des musulmans, décida d’aller brûler le drapeau devant le palais de Justice, mais pour une raison ou une autre, le drapeau fut échangé, à la dernière minute, par un faux sur lequel il était écrit: “Pas de dieu pour le terrorisme”. Et ils le brûlèrent en faisant une conférence de presse que tout le monde fut heureux de répercuter.
Les Occidentaux, qui ne lisent pas l’arabe, n’ont pas remarqué la supercherie, grâce à l’hypocrisie des médias libanais qui se sont précipités sur cette affaire pour compenser leur lâcheté face à la mienne.
Les islamistes, qui lisent l’arabe, ne s’y sont pas trompés et n’ont répercuté que ma photo. Le tweet suivant a été envoyé 11h après que j’aie publié ma photo, par un compte qui se donne le nom de « Services de renseignements de l’ASL » (Armée syrienne libre), page par la suite fermée par Twitter. La légende est une menace en soi :
« L’écrivain chrétienne Lina Murr Nehmé défie les musulmans au Liban et brûle l’étendard de l’islam. » Les deux premiers commentaires sont classiques : l’un me traite de « vieille sorcière », et l’autre dit :
« Elle a peut-être envie que sa photo fasse la Une des journaux du monde pendant qu’elle sera en train d’être égorgée. »
À signaler que l’ASL, que l’Occident a toujours appelée modérée, est une organisation formée du rebut de l’armée syrienne, les islamistes, ceux qui ont torturé ou massacré au Liban, et qui ont par la suite utilisé les mêmes méthodes en Syrie. Nosra s’est nourrie des éléments de l’ASL, qui a périclité et a d’ailleurs ouvertement montré par la suite son but véritable : le djihad armé. Cela n’empêche pas l’Occident de l’appeler modérée. Il est vrai que le régime wahhabite saoudien aussi est appelé modéré, même après avoir décapité des dizaines de personnes pour avoir manifesté.
Les islamistes ont écrit des centaines de fois sur les réseaux sociaux qu’ils allaient m’égorger. Je suis encore vivante, et ce que j’annonçais à l’époque dans mes articles et dans mes posts, se réalise: Daech n’est pas tout-puissant, et c’est pourquoi le fait de brûler le drapeau n’a pas créé de guerre civile (au contraire, il a uni), il a sauvé les jeunes gens de la prison, il a empêché quiconque de menacer notre liberté d’expression au nom de la religion. À ce jour, il n’a pas amené ma mort.
Donc, la lâcheté ne paie pas.
Ces événements (le retrait des terroristes avec les soldats libanais otages, la mort d’Ali Sayyed, les menaces envers les jeunes gens qui avaient brûlé les drapeaux de Daech et Nosra) qui se passaient il y a trois ans jour pour jour, ont laissé place à un paysage totalement différent. Le général Aoun, à l’époque était empêché d’arriver au pouvoir parce qu’il possède le plus gros bloc parlementaire chrétien, et qu’avec ses députés, il aurait été, contrairement à ses prédécesseurs nommés par l’ennemi, assez fort pour donner à l’armée libanaise l’ordre de chasser Daech et Nosra et de libérer Ersal.
Ceux qui ont financé Daech clament haut et fort que c’est le Hezbollah qui dirige les opérations, les uns pour glorifier le Hezbollah, les autres pour avilir l’armée libanaise comme ils ont toujours fait.
En fait, le Hezbollah n’a pas attaqué Nosra à Ersal au Liban de sa propre initiative, mais seulement, quand il a su qu’une opération avait été décidée par l’armée libanaise sur ordre du gouvernement. Car c’est la première fois depuis l’occupation syrienne du ministère de la Défense (1990), que le commandant en chef de l’armée n’est pas choisi par les ennemis du Liban. C’est quand le commandement de l’armée a changé qu’il a été possible d’envisager une libération totale du Liban, et non quand le Hezbollah l’a voulu. En trois ans, ce dernier n’a jamais osé faire ce mouvement vers Ersal. Il est exclusivement chiite, et il a besoin du soutien des autres communautés, que représente l’armée libanaise. C’est elle qui commande au Liban sur le plan militaire, même si ce n’est pas elle qu’on voit. Et cela a toujours été le cas. Elle est la seule institution dans laquelle la majorité des Libanais de toutes confessions se sentent représentés. Elle ne se donne pas le nom de chrétienne ou musulmane, comme font les milices. Elle est nationale et multiconfessionnelle, mais de discipline et de comportement laïques.
Les milices confessionnelles passent, l’armée libanaise reste. C’est la seule armée qui n’a jamais été vaincue, même par les Israéliens. C’est aussi la seule qui n’a jamais pris les territoires d’autrui. Ce n’est pas parce qu’elle ne l’a pas pu : elle seule, en 1948, a occupé des territoires israéliens : la Galilée durant 6 mois. Puis elle s’en est retirée sans être chassée, mais en signant un armistice.
Je pense que si l’armée libanaise perdait son éthique, elle perdrait aussi des batailles. En 2007, c’est sa victoire qui a empêché que l’Etat islamique ne commence au Liban. A l’époque, les terroristes du Fatah-el-Islam avaient égorgé et éborgné 20 soldats libanais dont un officier, dans leur sommeil. Au lieu de rendre la pareille, l’armée libanaise (contre la volonté du gouvernement qui protégeait alors les islamistes) a mis le siège autour du camp de Nahr el Bared, QG du Fatah-el-Islam, et pendant une semaine, a utilisé ses véhicules militaires pour évacuer les civils de l’ennemi sous sa protection, non pour les prendre en otages, mais pour les libérer et leur éviter la mort. Cette opération de sauvetage des civils de l’ennemi a coûté à l’armée libanaise deux morts de plus.
A signaler que l’armée libanaise est la seule institution non-confessionnelle au Liban, totalement laïque, où il est interdit de prier ouvertement, où il est interdit d’avoir une barbe islamiste ou un signe religieux comme un crucifix, alors, pourtant, que c’est l’institution où, probablement, dans leur cœur, les hommes prient le plus. Mais chacun dans son cœur. C’est la seule institution qui n’a pas pu être brisée. La seule qui représente tous les Libanais, et qui est toujours la cible des ennemis du Liban, quelle que soit leur nationalité et quelle que soit leur confession.
Pour sauvegarder ces principes de liberté morale et d’humanité, il y a eu les sacrifices de chrétiens, chiites, sunnites, druzes, alaouites, chacun frappé par des milices de sa propre communauté, mais debout moralement, même quand ils tombaient. Car ils tombaient pour que vive le Liban de Fakhreddine, celui dans lequel ce n’est pas la terreur, le bakchich et le clientélisme, mais l’amour entre les confessions qui fait l’unité nationale.
Nous, Libanais, nous nous aimons au-delà des différences. Ceux qui ne rentrent pas dans cette définition, ne sont pas libanais. J’espère qu’ils le deviendront, car plus on est nombreux avec cet état d’esprit, plus on est heureux. Sinon, ce n’est pas à eux qu’appartient l’avenir.
Ceux qui, les voyant si puissants, se mettent à désespérer, devraient se rappeler le proverbe qui dit: “Il y a un jour pour toi, ô injuste.” Et: “Celui qui creuse une fosse pour son frère, tombera dedans.”
J’aurais le même message à transmettre à ceux qui désespèrent de mon autre pays, la France, qui ne peut être sauvée que par l’amour. Et qui le sera.