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Joulani, le caïd inclusif

Article publié par Revue Politique et Parlementaire, le 12 mars 2025. https://www.revuepolitique.fr/joulani-le-caid-inclusif/

En 2021, Ahmed al-Charaa, alias Joulani, s’est présenté en veste occidentale aux côtés d’un journaliste américain. Et on a pu lire sur le compte arabe de l’ambassade des États-Unis en Syrie: «Bienvenue Joulani! Comme tu es beau! Et quel costume superbe! Tu peux changer de vêtements, mais tu restes un terroriste. N’oublie pas la récompense de 10 millions de dollars!»

Aujourd’hui, Joulani est le terroriste le plus connu, le plus intelligent et le plus redoutable de la planète. Son organisation HTS (Hayat Tahrir al-Cham), avatar d’al-Qaïda/al-Nosra, est classée comme terroriste par l’ONU, l’Union Européenne et les États-Unis, à cause de ses crimes contre l’humanité: attentats-suicides dans des lieux grouillant de civils, enlèvements, tortures effrayantes[1].

Ceci, ajouté aux violations des droits des minorités. À Idlib dont Joulani a fait un mini-État islamique depuis 7 ans, les minorités sont victimes de meurtres et kidnappings, extorsions, harcèlement et sévices divers. Le résultat: des départs en masse, et des conversions à l’islam. Il n’y a plus d’alaouites à Idlib, et presque plus de chrétiens et de druzes. Des centaines de druzes se sont convertis pour garder leurs vies, leurs propriétés et l’honneur de leurs femmes et de leurs filles.

Les prisons de Joulani ont toujours été bourrées de citoyens arbitrairement arrêtés et souvent férocement torturés. Y compris des journalistes français, espagnols, américains. L’un d’eux, Austin Tice, serait encore son prisonnier[2].

Qu’à cela ne tienne. Joulani a pris le pouvoir en Syrie? Les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Canada se précipitent pour avoir chacun sa part de contrats pour la reconstruction du pays… même si les promesses d’inclusivité de Joulani ne se réalisent pas exactement comme prévu.

Il a ainsi nommé un gouvernement exclusivement masculin, sunnite et formé de djihadistes de son équipe. Et quand les journalistes lui demandent pourquoi HTS seule est représentée dans ce gouvernement, il répond que c’est «par souci d’harmonie».

Il annonce ensuite qu’il n’y aura pas d’élections avant quatre ans, et pas de Constitution avant trois ans. Alors la France, non sans candeur, lui propose «une assistance technique et juridique pour la rédaction de la Constitution du pays». Il sourit mais ne répond pas. Il sait que parmi les juristes du gouvernement français, il n’y a pas de docteurs de la charia agréés par al-Qaïda/HTS.

Il se donne pourtant beaucoup de mal pour plaire aux diplomates occidentaux. À son arrivée à Alep, il a donné des consignes très strictes à ses salafistes. Ainsi, ils ne doivent pas broncher s’ils voient les cheveux d’une fille ou si elle est en pantalon ou en mini-jupe. Même si elle veut s’approcher d’eux pour prendre un selfie.

Ils ont également l’ordre de ne pas razzier les maisons chrétiennes, druzes ou alaouites dans les endroits spécifiques que fréquentent les journalistes et les diplomates étrangers.

Lui-même reçoit des femmes non voilées et se fait photographier avec elles, mais elles sont occidentales. Car quand une Syrienne demande à faire un selfie avec lui, il lui dit de se voiler, et aussitôt, elle se couvre la tête. Interrogée à la télévision, elle déclare avec dévotion: «Je comprends le caïd! Le caïd a raison!»

Non qu’elle ait peur! Qui aurait peur d’un djihadiste dont le costume occidental, les chaussures et la montre ont coûté des fortunes, et qui s’arrose de parfums précieux? Les filles des familles salafistes sont folles de lui.

Ses hommes ont reçu l’ordre de parler avec modération devant les caméras des agences de presse. Mais un Syrien, haranguant la foule, déclare: «Nous ne devons pas accepter l’aide des pays collaborateurs régionaux, ni des Américains.» Aussitôt, on lui coupe le micro et on le fait descendre de l’estrade de force.

Des HTS brûlent un sapin de Noël sur une place publique? Ils profanent un cimetière chrétien? Ils tuent un alaouite ou deux en prenant Damas? Joulani, un peu gêné, déclare que «ce sont des éléments incontrôlés» et qu’il les «châtiera sévèrement», tout en ajoutant que ceux qui maltraitent les minorités sont des étrangers… Par ailleurs, il annonce qu’il va donner la nationalité syrienne à tous ces étrangers parce qu’ils l’ont aidé à «libérer la Syrie».

Donc il va naturaliser ceux qui brûlent les sapins de Noël et maltraitent les minorités syriennes.

Des chrétiens manifestent en masse pour leur religion? Joulani laisse faire, et les Occidentaux louent son inclusivité et sa tolérance. On ne leur a pas dit qu’ensuite, il a fait secrètement coffrer les manifestants. C’est pourquoi ces manifestations chrétiennes ont totalement disparu, alors que les profanations qui en avaient été les causes, se sont multipliées, décuplant le mécontentement qui se transforme en désespoir.

Quant aux tortures que ces détenus subissent en ce moment, elles valent celles des prisons d’Assad, avec un plus: chez Joulani, on éduque les enfants à la torture dès leur jeune âge. On les fait assister au travail de papa le bourreau, et on les force parfois à torturer eux-mêmes les détenus. Comme ils sont petits, il faut, pour qu’ils leur fassent mal, qu’ils emploient de petits fouets fabriqués avec des barbelés, qui arrachent des morceaux de chair. Ou l’électricité. Le journaliste américain Théo Padnos fut ainsi torturé par des enfants de 6 ans[3].

Pendant ce temps, les bonnes manières de Joulani ravissent les journalistes. Ils lui posent une question compliquée? Il s’en tire admirablement: «Il y a un comité pour ça!» ou: «Il y a des experts!» Ou: «Il y a des spécialistes!» Ou: «Il y a des juristes!»

Il est si humble! À croire qu’il ne fait rien que d’écouter les spécialistes, se contentant, pour sa part, de leur obéir et de recevoir les délégations étrangères, en attendant les chefs d’entreprise qui viendront tout reconstruire.

Avec quel argent? Oh! L’argent, il n’a jamais eu de problème à en trouver. Avant, il volait, rançonnait, tout en se faisant financer par Abou Bakr Baghdadi à hauteur de 50 à 60.000 dollars par mois, et par des forums extrémistes en ligne alignés sur al-Qaïda; et dès ses premiers attentats spectaculaires, les monarques du Golfe qui – comme le dit Joe Biden en 2014 –, ont lourdement financé et armé les terroristes en Syrie depuis le début.

Joulani avait séduit ces donateurs en parlant un langage islamiste. Il entre dans la mosquée des Omeyyades le 8 décembre 2025 comme un futur calife qui annonce que sa victoire est non celle de la Syrie, mais «celle de toute la nation islamique». La charia est au tournant.

Joulani ne peut évidemment pas permettre que des phrases aussi franches soient captées par les micros des chaînes de télévision. Il choisit donc de faire son discours de la victoire à huis clos, ou presque, dans la mosquée des Omeyyades. Là, tout de même, les amateurs ont filmé de petits bouts avec leurs portables. Certains ont eu la présence d’esprit de capter la première partie du discours, celle qui comprenait cette phrase. Ils ont dû la vendre très cher aux agences de presse et aux chaînes américaines de télévision qui l’ont publiée en version originale.

Car Joulani veut que les Occidentaux lèvent les sanctions. Il s’attache à les séduire en prétendant défendre les minorités, en parlant de nationalisme syrien, d’inclusivité, et en invitant les évêques à une réunion cordiale.

Ils sont venus, chacun d’eux sachant qu’à Idlib, Joulani interdit depuis sept ans aux chrétiens de sonner les cloches et de montrer des croix sur les églises. Et il a enlevé toutes les religieuses du couvent de Maaloula, avec leurs auxiliaires et leurs jardiniers. Les hommes ont été tués, probablement parce qu’ils ont refusé de devenir musulmans. Joulani a jeté leurs cadavres à Ersal, localité libanaise qu’il avait occupée en 2014, et où il avait également fait décapiter un soldat libanais musulman. Quant aux religieuses et aux autres auxiliaires, il les a libérées sans croix sur la poitrine, contre 150 terroristes détenus par le régime syrien, et 5 millions de dollars payés par le Qatar.

Mais les chrétiens de Syrie sont habitués aux brimades. Ils n’en veulent pas à Joulani pour si peu: eux et lui sont maintenant copains. Vous avez besoin d’un curé? Il vous en enlève un, et avec vingt paroissiens encore, et il les garde cinq jours en immersion parmi les djihadistes. Ce n’est pas inclusif, ça?

Depuis, il les protège. Et qui saura mieux les protéger contre Joulani, sinon Joulani lui-même? Peuvent-ils ensuite refuser de dire que «le chef des rebelles tient parole»?

Non, ils ne peuvent pas. Et ils ne le font pas. Excellent pour la communication.

Il y a pourtant des couacs dans cette communication. Exemple: quand Joulani envoie massacrer les Kurdes, les chrétiens, les alaouites, les druzes et les chiites et les yazidis pendant que les diplomates occidentaux sont en visite à Damas. C’est censé se passer en grand secret, et Joulani interdit que les journalistes aillent dans ces coins. Mais ses djihadistes déguisés en forces de l’ordre inondent les réseaux sociaux de vidéos où ils vantent en riant les tortures et les humiliations qu’ils infligent à des gens désarmés[4].

Les organisations de droits de l’homme s’émeuvent. Le 9 février, l’une d’elles parle à Marianne de «97 meurtres et 516 disparitions[5]» documentés.

Mais ce n’est que le 8 mars que le reste du monde politico-médiatique se met en mouvement et commence à se scandaliser en découvrant des déchaînements de cruauté, familles tuées parce qu’alaouites (ou chrétiennes), les bébés, mamans, grands-parents, médecins et curés, comparables à ceux du 7 octobre. On n’aurait pas songé à inviter le Hamas à Bruxelles. Pourtant, Ursula von der Leyen vient de confirmer que Joulani sera bel et bien invité à Bruxelles pour une conférence de donateurs.

Lina Murr Nehmé


[1] Lire à ce sujet le récit du journaliste américain Théo Padnos, prisonnier de Joulani durant presque deux ans : https://www.nytimes.com/2014/10/28/magazine/theo-padnos-american-journalist-on-being-kidnapped-tortured-and-released-in-syria.html

[2] https://edition.cnn.com/politics/live-news/trump-tariffs-doge-news-03-09-25#cm81psu6700063b6mc4upcqbo

[3] https://youtu.be/oqmHid2Moaw?si=TrZDtpkBmUSmh0Lk&t=1209

[4] https://www.youtube.com/watch?v=H827TBXGQo0&rco=1

[5] Marianne, 9/2/2025.

Joulani et les femmes

Article publié dans Revue Politique et Parlementaire, le 21 janvier 2025 https://www.revuepolitique.fr/joulani-et-les-femmes/

Le Syrien Joulani, considéré comme terroriste par l’ONU et l’UE, a troqué son nom de guerre contre son vrai nom : Ahmed Al-Charaa. Et il a troqué le nom de son organisation al-Nosra, branche d’al-Qaïda et de Daesh, contre celui d’HTS (Hayat Tahrir al-Cham). Il a troqué ses vêtements de djihadiste contre le costume-cravate. Et il a pris des manières onctueuses.

Les chefs d’État occidentaux ont donc dit qu’il a changé et se sont mis à lui envoyer des émissaires, nonobstant les rapports de leurs ONGs qui racontent comment Al-Charaa a transformé le département d’Idlib sur lequel il règne depuis sept ans, en mini-califat, l’alcool ayant disparu, les églises ayant perdu leurs croix et ne sonnant plus les cloches, les femmes étant vêtues de noir, et les voleurs étant mutilés (sauf quand ils appartenaient à HTS). Une police des mœurs relève les transgressions et envoie les coupables en prison. Dans le secret des commissariats et des prisons, la torture est brutale, féroce. Les prisons sont pleines de gens ayant commis des délits qui pour l’Occident n’en sont pas, comme de s’être trouvés seuls avec une personne de l’autre sexe ou d’avoir émis une opinion jugée non conforme, ou simplement, d’être soupçonné d’en avoir une. Et les familles qui manifestent pour obtenir leur libération, ou au moins, pour savoir s’ils sont encore vivants, sont ignorées ou molestées.

Al-Charaa fait fouetter publiquement les hommes qui ne ferment pas boutique à l’heure de la prière du vendredi. Le premier vendredi après son occupation de Damas, il y a ainsi eu deux flagellations publiques.

Ses hommes massacrent les minorités en ce moment, mais on continue à dire du bien de lui en Occident. Quand il a annoncé un congrès avec toutes les composantes du pays, les plus optimistes ont même déclaré que les femmes pourraient continuer à voter et à participer à la vie publique.

Mais Al-Charaa n’a jamais dit qu’il a changé dans le fond, et il vient de la mouvance frériste syrienne. Or les Frères Musulmans syriens se sont battus durant des décennies pour empêcher les femmes d’avoir le droit de vote. Ils rejettent d’ailleurs le système parlementaire, et Al-Charaa a déclaré qu’il n’y aurait pas de Constitution avant trois ans, et pas d’élections avant quatre.

Les femmes doivent donc attendre trois ans pour savoir si elles pourront voter. En réalité, Al-Charaa a toujours milité pour le califat. Et dans le califat, il n’y a pas d’élections, Allah étant considéré comme le seul législateur. On peut donc douter qu’il y ait des élections, même dans quatre ans.

Les défenseurs d’Al-Charaa en France sont fiers de raconter qu’il a nommé Maysaa Sabrine, une femme, à la tête de la Banque Centrale. Mais en Syrie, la Banque Centrale n’est pas indépendante du pouvoir. Al-Charaa donnera les ordres, et Maysaa obéira. Et comme la Syrie est un État en faillite, elle sera accusée de l’échec. Un échec aggravé par les ordres qu’elle aura reçu d’Al-Charaa. Car il a décidé d’augmenter de 300% les salaires des fonctionnaires, ce qui servira sa popularité mais aggravera la crise financière et monétaire. Quand le pire arrivera, c’est Maysaa Sabrine qui sera tenue pour responsable de l’aggravement de la crise, pas son chef.

Al-Charaa a également nommé une femme druze, Mohsena al-Maithawi, gouverneure de la province de Sweida, majoritairement druze. C’était le 31 décembre 2024. Et quelques heures plus tard, pendant que les druzes de Sweida se réjouissaient de cette nomination et festoyaient, il a envoyé une troupe pour les massacrer pendant la nuit, alors que l’Occident fêtait la nouvelle année et ne risquait pas d’entendre leurs cris de détresse et leurs appels au secours.

Aussitôt, les druzes ont pris les armes et ont vaincu la troupe d’Al-Charaa, lui causant des morts et des blessés. Aussitôt, il leur en a envoyé une autre. Ils l’ont vaincue. Puis ils sont allés manifester en plein Damas pour exiger le fédéralisme.

On a également dit en France qu’Al-Charaa avait nommé une femme ministre. Ce n’est pas vrai. Pour ne pas nommer une femme ministre, Al-Charaa a rétrogradé le ministère des Affaires de la Femme au rang de simple Bureau. Et la directrice de ce Bureau est Aïcha Debs, femme de la mouvance des Frères Musulmans, et qui parle comme eux.

En décembre, aussitôt nommée, elle a recommandé à chaque femme de « ne pas outrepasser les priorités de sa nature originelle telle que l’a créée Allah, à savoir son rôle d’éducatrice au sein de sa famille… La femme syrienne, par nature, possède beaucoup de capacités. Si nous lui assurons une formation de qualité et des sessions de commandement, elle sera capable, si Allah veut, de participer au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif ».

Mais comment la femme syrienne pourra-t-elle jamais participer au pouvoir législatif s’il n’y a pas d’élections ? Ou au pouvoir exécutif si la route lui est barrée d’office et que Mme Debs elle-même n’a pas obtenu de portefeuille ministériel ?

Et Mme Debs d’ajouter : « Quant au pouvoir judiciaire, je ne vais pas faire de commentaire à ce sujet, car la Constitution va décider de cela. Nous avons un fondement, et c’est la charia islamique. Nous n’abandonnerons pas la charia islamique. »

Donc la Constitution qu’Al-Charaa prépare pour les Syriens – qui ne l’ont pas élu – sera une adaptation stricte de la charia, et il n’y aura pas de femmes juges, et le témoignage féminin vaudra la moitié du témoignage masculin.

Selon la charia[1], en effet, il faut deux témoignages de femmes pour valoir celui d’un homme, et les femmes ne peuvent pas être magistrates. Car si elles ne peuvent pas être témoins à égalité avec les hommes, il va de soi qu’elles ne peuvent pas les juger, ni les exécuter : seuls des hommes ont vocation à être magistrats ou justiciers.

Pour les islamistes, les femmes doivent rester à la maison. Elles peuvent être fouettées si, célibataire, l’une d’elles a eu une relation avec un homme. Si elle est mariée, elle doit être tuée.

Idem si elle a des mœurs légères, qualifiées par les islamistes de « daara » (prostitution). Des vidéos de l’exécution de deux de ces femmes à Idlib ont circulé récemment. Elles montrent que le cadi qui prononçait les fatwas avant ces féminicides, était Shadi al-Waisi, ministre HTS de la Justice en Syrie.

Durant des années, Al-Charaa et ses hommes ont tué, violé ou enlevé les femmes qui portaient des vêtements courts ou moulants, ou qui montraient leurs cheveux. Le Coran, en effet, ordonne aux musulmanes de se voiler « pour qu’on ne leur fasse pas de mal[2] ». Les islamistes en concluent qu’ils peuvent sans problème leur faire du mal si elles ne sont pas voilées. Durant la guerre de Syrie, les islamistes, notamment Al-Charaa et ses terroristes, violaient ou tuaient les femmes qui ne se voilaient pas, sauf si elles étaient défendues.

Le comble, c’est quand, pour leur plaire, des femmes se mettent à persécuter les autres femmes. Daesh avait ainsi des harpies qui guettaient les femmes insuffisamment voilées pour leur couper des morceaux de chair comme avertissement.

Cela vous choque ? Al-Nosra, pourtant, ce n’est qu’une branche de Daesh, fondée à la demande du chef de Daesh, par son lieutenant Joulani. Et vous n’avez pas encore tout vu.

Une fois les sanctions levées par les grandes puissances, et l’argent et les aides à la reconstruction arrivés, Al-Charaa n’aura plus besoin de plaire, et alors, on en verra bien davantage.


[1] Pour plus d’informations dans ce domaine, lire : Lina Murr Nehmé, « L’Islamisme et les Femmes », Salvator, 2017.

[2] Le Coran, 33,59. 

En Syrie, après le tollé provoqué par la révision des programmes scolaires, le gouvernement minimise – L’interview de Lina Murr Nehmé

Marianne

Aux oubliettes Darwin

En Syrie, après le tollé provoqué par la révision des programmes scolaires, le gouvernement minimise

Par Martin Bot

Publié le 04/01/2025 à 17:48

Le mercredi 1er janvier, le ministère de l’Éducation syrien a publié un communiqué annonçant des changements sémantiques dans les programmes scolaires. Le document a provoqué une levée de boucliers. Depuis l’accession des islamistes au pouvoir en Syrie, après la chute et la fuite de Bachar al-Assad, la priorité du nouveau gouvernement est de restaurer la stabilité du pays et de liquider l’héritage du clan al-Assad. Mais en imposant une vision islamique dans le domaine éducatif, ils soulèvent des craintes sur leurs intentions. Dès jeudi, le ministre a rétropédalé en repoussant l’échéance.

Le gouvernement syrien a-t-il fait tomber le masque ? Depuis que les islamistes radicaux ont pris le pouvoir à Damas le 8 décembre, après avoir fait chuter Bachar al-Assad, ils s’évertuent à montrer patte blanche aux Occidentaux et à multiplier les gages auprès des minorités religieuses du pays. Mais un communiqué publié sur la page Facebook du ministère de l’Éducation mercredi 1er janvier a suscité quelques craintes.

Sur douze pages, il est spécifié quels termes doivent être remplacés dans les programmes scolaires, et quels sujets ne seront plus enseignés. L’objectif du nouveau gouvernement est de liquider l’héritage du clan Assad et de s’attaquer à la « propagande » qu’ils ont identifié. Mais derrière ce mouvement pour tourner la page, pointe une vision islamiste de la société.

LE RELIGIEUX REMPLACE LE NATIONAL

Pour de nombreux Syriens, un changement s’est révélé particulièrement choquant : dans un verset coranique, il a été décrété que les expressions « ceux qui ont provoqué la colère » de Dieu et « les égarés », devaient être remplacés de façon explicite par « les Juifs et les Chrétiens ». Selon Lina Murr Nehmé, islamologue, la périphrase qui prévalait auparavant était « une expression impersonnelle et pouvant unir tout le monde », parce que laissant plus de place à l’interprétation. Au contraire, la lecture imposée par le gouvernement semble aller dans le sens d’une vision islamiste. « Ces changements dans les manuels scolaires syriens n’ont rien de surprenant. Ils s’inscrivent dans le droit fil de l’éducation islamique traditionnelle », explique Joshua Landis, directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient de l’Université de l’Oklahoma, sur X.

Si ces réécritures sont inquiétantes pour les Chrétiens et les Juifs, elles le sont aussi pour les autres minorités religieuses du pays. Ces substitutions « choqueront les Syriens laïques et de nombreux Chrétiens, sans parler des Alaouites, des Druzes et des Ismaéliens, qui sont considérés comme pires que les Chrétiens et les Juifs, et qui ne sont pas protégés par la loi islamique parce qu’ils ne sont pas considérés comme des Gens du Livre. Les Juifs et les Chrétiens sont simplement malavisés, pas mécréants », développe Joshua Landis.

De manière générale, les modifications évoquées dans le document suggèrent un basculement du nationalisme au religieux comme facteur d’unification des Syriens. La phrase « sacrifier sa vie pour défendre sa patrie » est substituée par « sacrifier sa vie pour la cause de Dieu ». « Les minorités, qui jusque-là pouvaient se revendiquer de la patrie autant que les autres, sont exclues de facto par le remplacement systématique des mots évoquant l’amour de la patrie ou le martyre pour la patrie, par l’expression “la voie d’Allah” », analyse Lina Murr Nehmé.

IMPASSES HISTORIQUES ET SCIENTIFIQUES

Deux figures féminines en particulier ont fait les frais des suppressions annoncées. Zénobie, reine de Palmyre au IIIème siècle, et Khawla bint al-Azwar, cheffe de guerre contemporaine de Mahomet, décrite désormais comme un personnage de fiction.

« Khawla bint al-Azwar est considérée par les islamistes comme un personnage mythique car elle n’est pas citée dans les hadiths authentiques ou dans les dictionnaires de la religion anciens. Avec Zénobie, elles ne correspondent pas à l’image de la femme promue par les partisans d’une vision conservatrice de l’islam. Mais je pense qu’elles sont effacées à cause de la charge patriotique qui leur a été attribuée sous le régime baasiste, plus que parce qu’elles sont des femmes », décrypte Lina Murr Nehmé. « La disparition de ces deux femmes est un débat qui passe sous les radars en dehors de la Syrie, parce que l’existence de ces deux femmes n’est pas toujours bien attestée par les textes », conclut l’islamologue.

Pour finir ce tour d’horizon, mentionnons les impasses historiques et scientifiques. Au lycée, les chapitres relatifs à l’évolution passent à la trappe. « C’est parce que du point de vue de la religion, Dieu a créé l’homme et l’univers », explique Joshua Landis. Idem pour les découvertes sur le fonctionnement du cerveau. Pour ce qui est de l’histoire, les chapitres sur la colonisation française sont éliminés, de même que le massacre de nationalistes syriens à Damas en 1916 par les troupes ottomanes. « Cette suppression ne s’explique que par un effort pour ne pas offenser la sensibilité turque », observe le spécialiste de la Syrie.

LE GOUVERNEMENT TEMPÈRE

La publication du document a provoqué des remous. Des appels à manifester ont fleuri sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, le militant et journaliste kurde yézidi Shiyar Khaleal met en garde contre une « éducation fondée sur des idéologies extrémistes ». « Cela peut façonner des individus dont les idées menacent la sécurité régionale et internationale », argumente-t-il.

Changer le programme scolaire de cette manière « n’est pas seulement un danger éducatif, mais une menace à long terme pour le tissu social et l’avenir de la Syrie », conclut-il. De son côté, le journaliste Ziad Haidar soupçonne que ces changements « ciblent » des « groupes religieux spécifiques », malgré les tentatives du nouveau régime pour rassurer les minorités.

Devant le tollé, le gouvernement a minimisé. « Nous avons seulement ordonné la suppression des parties glorifiant le régime déchu d’Assad, et nous avons adopté des images du drapeau de la Révolution syrienne au lieu du drapeau du régime » déchu, s’est défendu le ministre syrien de l’Éducation, Nazir Al-Qadri. En ce qui concerne l’éducation à la religion islamique, il juge que « certains versets coraniques étaient expliqués de manière erronée » et précise que les enseignements « incorrects » seront corrigés. Pour noyer le poisson, il a reporté la modification effective du contenu éducatif : « Les programmes de toutes les écoles syriennes resteront tels quels jusqu’à ce que des comités spécialisés soient formés pour les examiner », peut-on lire dans un communiqué qu’il a publié jeudi sur Telegram, vingt-quatre heures après l’annonce initiale.

« L’annulation jeudi de la réforme ressemble à une première victoire de taille pour les démocrates syriens désireux de restreindre le champ d’action du gouvernement actuel, non élu, à des prérogatives minimales dans l’attente d’élections générales », analyse le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour. Lina Murr Nehmé est moins enthousiaste.

Pour elle, il ne faut pas prendre les déclarations du gouvernement pour argent comptant : « Je ne suis pas sûre qu’ils fassent marche arrière. Ils veulent gagner du temps. Ce n’est que le début, ils iront pas à pas. »

Par Martin Bot

https://www.marianne.net/monde/en-syrie-apres-le-tolle-provoque-par-la-revision-des-programmes-scolaires-le-gouvernement-minimise?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR0wDxQLZouW7xvtWXqyJFMH4cSWE-EWhQlpBVd-TAf7hp0_aHnr1e87UrA_aem_t1Ge_zh8Oa-MriWzhnbrrA

Débat sur le nouveau pouvoir en Syrie aux mains de HTS/HTC. Avec Lina Murr Nehmé, Hugues Huet, le général Vincent Desportes, Maxime Perez, Jordan Klein et Wassim Nasr.

Débat animé par Uzan Alexandra sur le renversement d’Assad à Damas en Syrie par HTS/HTC. Avec Lina Murr Nehme, Guillaume Ancel, Aude Soufi et Michel Fayad.

Renversement de Bachar el-Assad en Syrie par HTS/HTC – Avec Lina Murr Nehmé

Daech : Etat ou organisation ?

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Un tribunal daechi.

Un lecteur m’écrit avoir lu que l’Etat islamique n’était pas un véritable Etat, mais une organisation, un proto-État. Depuis des années, en effet, les journaux et les politiques ont colporté l’expression “organisation Etat islamique”. Comment l’histoire, avec le recul des années, pourra-t-elle appréhender cet objet politique ? Voici quelques éléments de réponse.

Cette affirmation selon laquelle Daech ne serait pas un Etat est une contre-vérité. Les autorités qui produisent cet élément de langage savent parfaitement que Daech, “Etat islamique en Irak”, puis “Etat islamique en Irak et à Cham (Liban, Syrie, Israël, Jordanie)”, avant de s’appeler “Etat islamique” tout court, a tout d’un Etat. Contentons-nous d’une définition classique et reconnue de l’Etat: un être artificiel puissant, un Léviathan, capable d’assurer la paix et la sécurité des individus qui lui ont prêté allégeance ou qu’il a soumis (Hobbes).

Rappelons simplement que Daech :

– perçoit des impôts
– édicte et fait respecter ses lois
– entretient des tribunaux et des juges (photo)
– gère une administration et toute une infrastructure (routes, hôpitaux, importations et exportations, production et raffinage de pétrole)
– bat sa monnaie
– dispose de journaux et de chaînes de télévision
– rémunère ses fonctionnaires, ses écoles, sa police, son armée
– produit une idéologie structurée fondée sur un droit dont elle se réclame.

Si, dans ces conditions, Daech n’est pas un Etat, alors qu’est-ce qu’un Etat ? (sachant qu’en reconnaissant à Daech ce statut d’Etat ne revient pas à le louer.)

Pourquoi nier une telle évidence ?

Si les puissances occidentales ont répandu ce mensonge, c’est que cela leur permet de soutenir Daech contre l’Etat syrien, et de faire passer le conflit qui a ravagé la Syrie pour une guerre civile, alors qu’il s’agit d’une guerre d’invasion. Cette invasion, ces puissances occidentales l’ont observée sans intervenir, quand elles ne l’ont pas aidée financièrement, matériellement, diplomatiquement. Elles ont ainsi laissé tranquillement Daech l’Irakien traverser le désert, passer la frontière et commencer les massacres en Syrie.

Il en est de même de Nosra, issue de Daech, implantée en Syrie par la volonté et avec l’argent de Daech. A ce titre — et même si elle s’est coupée de son organisation mère dans le but de s’enrichir et de fonder un jour son propre califat — Nosra, elle aussi, est un envahisseur étranger, envoyé par Daech pour préparer en Syrie un terrain favorable à une annexion par Daech.

L’article que l’on me cite dit que Daech ne peut pas battre monnaie. C’est faux: il bat monnaie. Délivre-t-il des papiers d’identité ? Bien sûr: pourquoi ces jeunes djihadistes brûlent-ils leurs papiers français, sinon parce qu’on leur a donné ceux du califat ? Eux ne disent pas “Etat islamique”, ils disent tout simplement “l’État”.

Quant aux frontières internationalement reconnues, elles sont tacites: quand les grandes puissances interviennent contre la Syrie si elle dépasse une certaine ligne dans sa guerre contre Daech, il est évident qu’il s’agit de faire respecter une frontière dont on a convenu par un travail diplomatique, un peu comme les limites décidées lors des discussions entre Roosevelt et Staline à Yalta, ou comme la partition du Liban décidée en 1973-1974 (le plan Kissinger), qui a fini par échouer, parce que le peuple libanais ne s’est pas laissé faire.

Lina Murr Nehmé, 11 mars 2019

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