A ceux qui nous font pleurer sur les malheurs des djihadistes en Syrie et non sur le sort de leurs victimes.
Journalistes, revoyez vos anciens reportages, ceux où vous aviez
glorifié ces djihadistes, où vous avez refusé de reconnaître que Daech
était un Etat combattant un autre Etat, la Syrie. Vous l’avez toujours
appelé “Organisation Etat islamique”. Ce faisant, vous avez encouragé le
djihadisme en Occident, en présentant les guerres d’invasion des
djihadistes comme des “guerres civiles”.
Et vous, politiciens, vous avez aidé Daech, non seulement en donnant
des mots d’ordres aux médias, mais aussi, militairement, en entraînant
Daech, puis Nosra et d’autres organisations djihadistes pour les
fortifier contre leurs victimes, ces minorités que vous prétendez
défendre lorsque cela vous donne un prestige moral.
Et qui
étaient leurs victimes? Qui soutenait et soutient Bachar el-Assad? Ne
sont-ce pas les minorités, toutes les minorités? En présentant les
guerres de Daech comme des guerres menées par des opprimés contre des
oppresseurs, des guerres civiles, vous avez aidé l’Etat islamique à
perpétrer son génocide des minorités. Vous avez ainsi présenté les
minorités (qui, toutes, défendaient le régime syrien ou se battent dans
le même camp), comme des fascistes, ce qui a préparé leur massacre. Cela
a commencé par les chiites irakiens, dont on n’a pas parlé, comme s’ils
n’existaient pas. Vous avez également tu le sort des sunnites irakiens
ou syriens qui résistaient. Et cela a continué avec le massacre des
mêmes dans les régions syriennes occupées par Daech.
Alors, le
monde occidental, qui avait ignoré le génocide des communautés
musulmanes non islamistes, s’est ému avec le génocide des yézidis. Des
yézidis et non des Kurdes, car des villages kurdes chrétiens ont été
tout aussi victimes que les yézidis, pour avoir résisté par les armes et
refusé de se convertir à l’islam. On n’en a pas parlé. Il a fallu que
Daech publie lui-même le cours des esclaves vendues sur les marchés
(voir le fac-similé et la traduction dans mon livre L’islamisme et les Femmes), pour que le public réalise que ces esclaves pouvaient être aussi bien chrétiennes que yézidies.
Et de nouveau, on nous fait pleurer sur les agresseurs et sur leur camp
; de nouveau, on nous les présente comme des combattants de la liberté.
Quand cette désinformation cessera-t-elle? Je le sais: comme pour le
Liban, une fois que le pays sera soumis à un sunnite choisi par l’Arabie
Saoudite, lorsque la constitution aura été modifiée par volonté
internationale, pour donner tous les pouvoirs présidentiels aux
sunnites.
Il se trouve qu’en Syrie, les sunnites sont la
majorité. Mais au Liban, quand la communauté internationale a imposé une
constitution, les sunnites étaient minoritaires.
En histoire, il faut toujours comparer des situations semblables pour y voir clair malgré la désinformation.
Comment en finir avec la discrimination
médiatique et politique face aux attentats? Faudrait en arriver jusqu’à
interdire à la presse de dire l’identité des victimes et le lieu où
elles sont mortes? Dans ce cas utopique, il y aurait la justice, même au
niveau de la mort, et un civil égalerait un autre civil,
indépendamment de leur religion ou de leur nationalité.
Rappelez-vous l’affaire la plus médiatisée de 2017 en France: l’affaire
du jeune Théo, qui accusait la poilice de l’avoir violé. A-t-on demandé
la publication de la vidéo prise par la caméra de surveillance, avant de
ruer sur tout ce qui était Blanc et de tenter de tuer des policiers? A
l’occasion, des policiers avaient été incendiés, et l’un d’eux a presque
entièrement flambé durant un temps suffisant pour causer dans son corps
des dégâts irréversibles. Quelqu’un a-t-il parlé de cette tragédie
vraie? Non: un syndicat a parlé de “poulet grillé”. Quelqu’un
cherche-t-il à savoir ce qu’est devenu ce policier si gravement brûlé?
Pas à ma connaissance: les médias n’en parlent plus.
Et pendant
qu’on croyait aveuglément le mensonge de Théo sans demander à voir la
vidéo pour savoir si c’était la vérité ou une calomnie, on ignorait le
massacre de Sarah Halimi en refusant de prendre en compte les éléments
prouvant qu’elle avait été tuée parce qu’elle était juive. Ce qui m’a
obligée à faire ma propre enquête, et à consacrer 40 pages dans L’islamisme et les Femmes,
à prouver que l’assassinat était religieux et que sans la religion et
le sexe de Sarah Halimi, il n’aurait pas eu lieu, en tout cas pas de cas
pas de cette façon féroce.
Dans le même livre, j’ai montré un
autre exemple terrible de cette discrimination: comment des tags sur une
mosquée avaient mis la France sens dessus-dessous, alors que depuis un
mois, le curé de l’église voisine, et son église, subissaient des jets
de pierre quotidiens, le cruré recevant même des parpaings: cela
s’appelle de la lapidation.
Qu’est-ce qui est plus important?
Une personne humaine ou un mur? (Sans compter qu’en plus, l’église avait
été lapidée et endommagée, et qu’un lieu de culte est infiniment plus
important qu’un simple mur d’enceinte extérieure.)
La même
semaine que les tags, le massacre d’un Français d’origine africaine —
mais chrétien — a également fait moins de bruit que les tags sur le mur.
À cause de l’identité de ses assassins.
La révolte que j’éprouve
face au manque de sympathie que subissent les victimes qui n’ont pas la
bonne couleur, ou la bonne religion, ou la bonne nationalité, je
l’éprouve depuis près de 45 ans. Je croyais, à cette époque, que les
chrétiens du Liban (ou les musulmans quand ils étaient dans le même camp
qu’eux), seuls, étaient victimes. Mais je m’aperçois que la guerre
faite aux Libanais a essaimé dans le monde entier, même si, nulle part,
le traitement des victimes n’a été aussi flagrant que dans la guerre du
Liban. Je pourrais ainsi donner des centaines d’exemples de massacres,
tuant parfois 2000 civils (Damour), et tus par les médias occidentaux
parce que les victimes étaient chrétiennes et les assassins
palestiniens. J’en ai donné beaucoup d’exemples dans mes deux trois
livres sur ce sujet: “Le Liban assassiné”, “Du règne de la Pègre au
Réveil du Lion”, et “Les otages libanais dans les prisons syriennes”.
Un des seigneurs de la guerre du Liban, habitué à infliger ces discriminations aux chrétiens, vient de déclarer que l’assassin de Nouvelle-Zélande était un si grand criminel qu'”il n’y a pas eu dans l’histoire un criminel qui puisse représenter [ressembler à] ce criminel”.
Il a ainsi allègrement passé outre aux massacres de Daech et de ses alliés (Boko Haram, Shabab, etc.), de Nosra, de l’OLP, du Hamas, pour ne pas parler des assassinats commis par le sultan ottoman Mahomet II, à qui on attribue un million de victimes entre morts et prises d’esclaves. Et j’en passe.
Cet enfant vient de tuer. Si lui ou un des siens était expatrié, il
serait probablement sous la juridiction d’un pays du sud-est asiatique,
qui n’aurait aucun scrupule à l’éliminer.
Mais il y a des
enfants ressortissants français, anglais ou belges (ou autres) qui ont
tué. Ils ont été entraînés à tuer. L’État islamique a diffusé des vidéos
terribles montrant le lavage de cerveaux dont ont été victimes ces
enfants. Rappelez-vous les enfants d’Hitler, qui voulait créer la race
supérieure en faisant élever à sa manière les enfants blonds aux yeux
bleus. Cela a, paraît-il, donné des monstres.
On se dispute en
France au sujet des enfants des djihadistes. Evidemment, quand on dit le
mot “enfant”, on pense à l’innocence et non au meurtre ou à la guerre.
Pourtant, qui a oublié la vidéo dans laquelle le neveu de Sabri Essid,
demi-frère de Mohamed Merah, tuait un Palestinien musulman agenouillé?
Seule compte l’opinion du téléspectateur occidental que les journalistes
font larmoyer à longueur de reportages? L’opinion de la famille de ce
Palestinien assassiné n’a aucune valeur concernant son fils qu’un enfant
franco-tunisien a tué? Même si c’est dans un centre de détention, cet
enfant tueur, s’il était encore en vie, coulerait, aux frais du
contribuable français, une vie bien plus douce que celle des enfants ou
des frères de sa victime, et qui sont des pauvres.
Et qui a
oublié la vjdéo des enfants assassins dans le théâtre de Palmyre? Il y
avait certainement des Occidentaux parmi eux. On a mis à leurs pieds, à
genoux dans un théâtre, une file de soldats syriens aux visages
ensanglantés, qui avaient été tellement torturés durant les jours et les
nuits préalables, que certains d’entre eux ne parvenaient pas à rester
debout ou à genoux.
Si l’un de ces enfants ou adolescents est un
ressortissant français, aura-t-il droit d’aller se couler la vie douce
en France dans une cellule de luxe avec nourriture à satiété, sachant
qu’en Syrie, les enfants des hommes qu’il a assassinés, meurent
littéralement de faim? Car, quand on vous fait larmoyer sur le sort des
djihadistes, on ne vous dit pas que les familles syriennes sont
nombreuses et pauvres, qu’une femme dont le mari est mort, n’a pas
nécessairement de quoi nourrir ses enfants. L’assassinat du père
signifie la faim pour sa femme et ses enfants. Les victimes des enfants
de Daech n’étaient pas des richards. C’étaient des pères de famille de
la classe plutôt pauvre. Leur disparition a laissé des orphelins sans
ressources qui, aujourd’hui, meurent parfois littéralement de faim parce
que les sanctions occidentales ont rendu exorbitant le prix des denrées
alimentaires.
Est-il juste que ces enfants meurent de faim, et
que les enfants djihadistes occidentaux qui ont égorgé leurs pères,
parfois devant caméra, se coulent la vie douce dans des prisons de luxe,
loin du blocus imposé par l’Occident à la Syrie? Est-il possible aux
assassins et à leurs enfants de gagner sur tous les plans, tuer en
France, tuer en Syrie, puis, une fois perdants, rentrer en France,
laissant les enfants de ceux qu’ils ont tué et dont ils ont ruiné le
pays, perdre sur tous les plans?
Non, non, ce monde est trop injuste. Il y a quelque part, quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. On m’avait dit qu’un homme égale un homme, qu’un enfant égale un enfant. Mais je m’aperçois que plus on tue, mieux on est traité, et plus on est gagnant.
Dominique Handelsman écrit : “Sur la 5, Kamel Daoud traite le Pen de charognarde parce qu’elle a dit qu’elle souhaite qu’on suspende l’attribution de visas d’Algérie vers la France, arguant que Sifaoui a dit qu’il pourrait y avoir jusqu’à 10 millions de réfugiés.”
Je voudrais poser la question suivante à Kamel Daoud, que j’estime par ailleurs : vu la situation actuelle, serait-il humain, bon et utile que la France reçoive 10 millions de réfugiés algériens (sous réserve, évidemment, que ce chiffre avancé par Mohamed Sifaoui soit réaliste) ? Serait-ce bon pour ces Algériens ?
Nous avons connu cela au Liban, quand, réfugiés palestiniens plus réfugiés syriens, nous nous sommes retrouvés avec une population aux deux tiers libanaise seulement.
Personnellement, chaque fois que
j’ai eu le choix, j’ai préféré me rendre là où il y avait la guerre,
que de fuir. C’est pourquoi, et alors que ma famille était domiciliée à
l’étranger, je me suis trouvée au Liban la plupart des périodes où il y
avait la guerre, et j’ai affronté le feu des miliciens les mains nues,
j’ai affronté Daech en brûlant son drapeau à cent kilomètres d’elle,
j’ai même affronté l’armée libanaise en refusant de me retirer au cours
d’une manifestation, au risque de me faire écraser par la troupe qui
marchait sur nous.
Je comprendrais que cent, ou que mille Algériens fuient. Mais je ne comprendrais pas que 10 millions d’Algériens fuient leur pays au lieu de le servir, alors qu’ils pourraient briser n’importe quel régime, rien qu’en descendant tous ensemble dans la rue.
Un lecteur m’écrit avoir lu que l’Etat islamique n’était pas un véritable Etat, mais une organisation, un proto-État. Depuis des années, en effet, les journaux et les politiques ont colporté l’expression “organisation Etat islamique”. Comment l’histoire, avec le recul des années, pourra-t-elle appréhender cet objet politique ? Voici quelques éléments de réponse.
Cette affirmation selon laquelle Daech ne
serait pas un Etat est une contre-vérité. Les autorités qui produisent
cet élément de langage savent parfaitement que Daech, “Etat islamique en
Irak”, puis “Etat islamique en Irak et à Cham (Liban, Syrie, Israël,
Jordanie)”, avant de s’appeler “Etat islamique” tout court, a tout d’un
Etat. Contentons-nous d’une définition classique et reconnue de l’Etat:
un être artificiel puissant, un Léviathan, capable d’assurer la paix et
la sécurité des individus qui lui ont prêté allégeance ou qu’il a
soumis (Hobbes).
Rappelons simplement que Daech :
– perçoit des impôts – édicte et fait respecter ses lois – entretient des tribunaux et des juges (photo)
– gère une administration et toute une infrastructure (routes,
hôpitaux, importations et exportations, production et raffinage de
pétrole) – bat sa monnaie – dispose de journaux et de chaînes de télévision – rémunère ses fonctionnaires, ses écoles, sa police, son armée – produit une idéologie structurée fondée sur un droit dont elle se réclame.
Si, dans ces conditions, Daech n’est pas un Etat, alors qu’est-ce qu’un
Etat ? (sachant qu’en reconnaissant à Daech ce statut d’Etat ne revient
pas à le louer.)
Pourquoi nier une telle évidence ?
Si
les puissances occidentales ont répandu ce mensonge, c’est que cela leur
permet de soutenir Daech contre l’Etat syrien, et de faire passer le
conflit qui a ravagé la Syrie pour une guerre civile, alors qu’il s’agit
d’une guerre d’invasion. Cette invasion, ces puissances occidentales
l’ont observée sans intervenir, quand elles ne l’ont pas aidée
financièrement, matériellement, diplomatiquement. Elles ont ainsi laissé
tranquillement Daech l’Irakien traverser le désert, passer la frontière
et commencer les massacres en Syrie.
Il en est de même de
Nosra, issue de Daech, implantée en Syrie par la volonté et avec
l’argent de Daech. A ce titre — et même si elle s’est coupée de son
organisation mère dans le but de s’enrichir et de fonder un jour son
propre califat — Nosra, elle aussi, est un envahisseur étranger, envoyé
par Daech pour préparer en Syrie un terrain favorable à une annexion par
Daech.
L’article que l’on me cite dit que Daech ne peut pas
battre monnaie. C’est faux: il bat monnaie. Délivre-t-il des papiers
d’identité ? Bien sûr: pourquoi ces jeunes djihadistes brûlent-ils leurs
papiers français, sinon parce qu’on leur a donné ceux du califat ? Eux
ne disent pas “Etat islamique”, ils disent tout simplement “l’État”.
Quant aux frontières internationalement reconnues, elles sont tacites: quand les grandes puissances interviennent contre la Syrie si elle dépasse une certaine ligne dans sa guerre contre Daech, il est évident qu’il s’agit de faire respecter une frontière dont on a convenu par un travail diplomatique, un peu comme les limites décidées lors des discussions entre Roosevelt et Staline à Yalta, ou comme la partition du Liban décidée en 1973-1974 (le plan Kissinger), qui a fini par échouer, parce que le peuple libanais ne s’est pas laissé faire.
Au Liban, le Dar el-Fatwa a
poliment informé le ministère qu’il devait interdire la diffusion de
mon livre “Tariq Ramadan, Tareq Oubrou, Dalil Boubakeur: ce qu’ils
cachent” dans le pays.
Cette institution rédige des fatwas, elle
interdit des livres: elle est dans son rôle. C’est elle qui a refusé de
recevoir une candidate à la Présidence de la République française sans
hijab. Et ce, alors que le voile n’est pas obligatoire au Liban. Il est
vrai que mes derniers livres parlent du voile, et de sujets sensibles.
Impossible d’expliquer le vrai discours de Tariq Ramadan, Tareq Oubrou,
Dalil Boubakeur, sans revenir aux textes qu’ils citent.
Si on
comprend que ces trois personnages soient protégés par leurs collègues
oulémas qui censurent mon livre, on comprend moins facilement pourquoi
cette protection s’exerce en France, en Belgique, et dans une moindre
mesure, en Suisse. En effet, on vient de me faire remarquer que les
bibliothèques universitaires francophones (françaises, belges et
suisses) mettaient moins de mes livres à disposition du public que les
universités américaines ou allemandes. Ainsi, il est plus facile à un
lecteur habitant à Munich, Chicago ou à un étudiant de Harvard ou
Stanford de me lire, qu’à un lecteur français, suisse, belge ou libanais
!
Et cela est valable pour d’autres auteurs qui parlent un autre
langage que celui d’Olivier Roy, Vincent Geisser, Alain Gresh ou
François Burgat, qui continuent d’être consultés et interrogés sur leurs
protégés.
Comme on ne peut pas censurer franchement, on ignore,
ce qui est aussi efficace. Et si cette censure existe, c’est bon signe:
c’est que le travail que l’on fait est efficace. Ce qui est inquiétant,
c’est que cette censure touche des livres qui aident des pays victimes
du prosélytisme et de l’islamisation agressive à y voir clair. Car toute
bibliothèque universitaire ou municipale, en France, possède les livres
de Tariq Ramadan, de Tareq Oubrou, de Dalil Boubakeur, ou de Ghaleb
Bencheikh, pour ne citer qu’eux. Sans parler des bibliothèques
musulmanes dans nombre de mosquées, à commencer par la Mosquée de Paris.
Et bientôt, qui sait, Mehdi Meklat aura le prix Goncourt. En face,
quels sont les livres qui fourniront aux étudiants de quoi se prémunir
contre leur discours ?
Je me souviens de cet étudiant que j’avais
plusieurs fois entendu, à la Bibliothèque Nationale de France,
endoctriner une étudiante voilée qui le regardait avec des yeux
passionnés. “Vous allez faire le djihad?”, lui demandait-elle entre deux
bouchées de sandwich. C’était en 2009, l’année où j’avais posé à Tariq
Ramadan la colle dont j’ai parlé dans “Fatwas et Caricatures” au sujet
du mariage d’Aïcha, et de l’esclavage. Qui sait si cet étudiant, et
peut-être cette étudiante, ne sont pas allés faire le djihad en Irak ou
en Syrie depuis, et ne sont pas, aujourd’hui, des “revenants”?
En
1982, aux Beaux-arts de Paris, quand l’action des islamistes en France
était encore assez faible. Je passais mon UV de tapisserie artistique,
et face à moi, à travers la trame, un garçon et une fille réalisaient
leur tapisserie; le garçon harcelait la fille en lui vantant sa religion
et la beauté du chant du muezzin. Sans doute avait-il lu ou entendu les
écrits du père de Tariq Ramadan, Saïd, ou ceux de Hamidullah, qui
sévissait à l’époque, pour qui toute musique est interdite à l’exception
de l’appel du muezzin. Et je devais ainsi subir tout au long de la
journée le fredonnement: “Allahou Akbar, Mohamed est l’Apôtre d’Allah!”
Ce matraquage par le haut (lobbying auprès des politiques) et par le bas (propagande et prosélytisme) produit des convertis, des professeurs islamistes et des djihadistes. On l’a payé, des années plus tard, avec les attentats sur le sol français. Le laxisme et la censure actuels se paieront plus cher encore dans un futur proche, car ce genre de mouvement ne croît pas en ligne droite, mais de façon parabolique. Les livres des éditeurs salafistes sont bien en vue à la Fnac; après l’avoir fait remarquer à un vendeur, un de mes lecteurs s’est fait répondre: “Après tout, ce ne sont que des livres !”
Ibn Taymiyya, El-Djazaïri, Qaradaoui et
leurs admirateurs. Puis, les islamistes honteux, qui entretiennent la
confusion sur les idées et les textes, et se font passer pour modérés
dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision. S’ils
l’étaient vraiment, ne devraient-ils pas commencer par dénoncer ces
auteurs qui mènent à la radicalisation, demander leur interdiction ? Et
on continue à les prendre au sérieux.
Est-ce normal ? Vous me
direz que la France n’est pas tout à fait dans son état normal. Comment
peut-on décrier un phénomène, et faire semblant d’ignorer les textes mis
en application ? Dans ces conditions, les livres d’histoire qui ne
sacrifient pas aux bons sentiments et au romantisme (“histoire”,
rappelons-le, signifie “enquête”), ou qui n’enrobent pas les pires
commandements d’une “spiritualité” imaginaire ne peuvent pas être bien
accueillis.
Les concepts flatteurs, les bons sentiments,
l’optimisme béat ne sont pas de circonstance. Pour que l’histoire arme
la pensée, il faut qu’elle aille à la rencontre des faits et des textes
qui planifient les actes à venir.
Tous mes livres contiennent des
centaines de traductions inédites, des documents reproduits en
fac-similé, et présentent des faits difficiles ou scientifiques dans un
style lisible, pour être accessibles à des lecteurs ordinaires. Ce sont
des livres sans jargon. Ce ne sont pas non plus des livres de
demi-savants, bourrés d’erreurs et de contresens, sous prétexte de faire
de la vulgarisation. Les propagandistes comme Tariq Ramadan ont des
mécènes richissimes, et ont des complices haut placés. Je n’ai payé
personne. Mais si des gens ordinaires lisent mes livres et en parlent,
la cause défendue par ces livres avancera. Même si ceux qui s’en servent
et les utilisent pour leur propre production n’ont pas l’honnêteté de
les citer.
Dans les années 1970, mon père nous racontait que les femmes dans
les milieux intégristes en Syrie étaient tellement conditionnées pour se
voiler le visage ou la tête, qu’il en avait vu une, nue mais le visage
voilé. Ayant eu le choix entre cacher sa tête et son sexe à l’entrée
d’un homme, elle avait préféré relever sa jupe et cacher sa tête.
De même, Zahra Lari, la patineuse émirati, montre son fesses dans tous leurs détails… et cache ses cheveux! Je me demande en quoi mouler ses cuisses et ses fesses de noir serait pudique, et montrer ses cheveux, non.
Nike, qui a fait des études de marché sur la perception du voile en
Occident avant de lancer cette pub, sait que son hijab se vendra s’il
est présenté comme un signe de différenciation communautaire et non un
signe de pudeur.
Car les hijabs de Nike, de Décathlon, ou des
burkinis, ne sont pas halal, le but du voile étant de camoufler et non
de souligner ou d’embellir.
Sauf, bien sûr, si le voile est utilisé comme un signe politique ou communautariste…
En 1989, le traité de Taef fut imposé au Liban au mépris de la population
qui, dans son écrasante majorité, n’en voulait pas. Rappelez-vous, diplomates,
agents et médias: le réduit libanais qui était encore libre et soumis à l’Etat
libanais manifestait tous les jours contre ce traité imposé par l’Arabie. Il
manifestait parce que ce traité légalisait l’occupation d’une partie du Liban
par l’armée syrienne.
Les manifestations durèrent plus d’un an. Puis vint la guerre du Golfe. Obtenir l’accord de la Syrie de l’époque était une étape
cruciale. Pour obtenir la participation de Hafez el-Assad contre l’Irak, il
fallait une contrepartie alléchante. Ainsi, toute la communauté internationale,
y compris le Vatican, imposa au Liban l’occupation d’une partie de son pays par
les troupes syriennes.
Ce traité commença le 30 septembre, date anniversaire des Accords de Munich
de 1938. C’est en effet à cette date que l’Arabie Saoudite réunit les députés
libanais chez elle, à Taef, et non à la Mecque, car certains d’entre eux, étant
chrétiens, auraient souillé les lieux, selon elle. Après leur avoir confisqué
leur passeport, elle leur expliqua au cours des jours suivants qu’ils ne partiraient
qu’à condition de signer ce traité fait par elle, qui dépouillait les chrétiens
de tout pouvoir dans leur propre pays.
Toute la communauté internationale s’inclina, un peu comme dans l’Apocalypse, toute la terre s’incline et dit: “Qui est comme la Bête?”
Le traité était saoudien, puisque Hariri l’avait écrit et imposé en tant que sujet du roi d’Arabie. Et Hafez Assad avait imposé sa clause, car un tel traité ne pouvait exister sans son accord. Quant au parrainage du traité, il fut assuré par les Américains, car sans eux cet accord n’aurait pu être imposé au Liban. Rappelons que George Bush était l’ami personnel du roi d’Arabie.
La Syrie avait déjà tenté d’imposer un tel traité quelques années plus tôt, elle avait échoué. C’est Rafic Hariri, travaillant pour les Saoudiens avec l’aide américaine, qui l’imposa grâce à l’argent saoudien et aux pressions des Américains, devenus la seule superpuissance.
Pourquoi ce parallèle avec les Accords de Munich ? Parce que de la même manière, on permit à une puissance militaire agressive, la Syrie, d’envahir un territoire qu’elle réclamait, et que l’une des conséquences de ce traité fut la chute du régime irakien, et l’apparition de Daech.
Drôle, cette phrase illustrée par une fille avec un gros rouge à
lèvres, des lèvres sortantes et grosses, des sourcils épilés, et des
yeux maquillés. En quoi change-t-on les règles si on se peint pour
suivre les règles de la mode ?
J’y vois au contraire le summum de la soumission: soumission aux règles concernant le maquillage, et soumission aux règles concernant le hijab. Et soumission aux règles de l’argent: elle fait de sa tête une pancarte publicitaire pour Nike. Sachant que dans sa langue, le mot نيك veut dire ce qu’il veut dire.