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Le 30 juin 2019 en début de soirée, juste après la fusillade du Chouf, il y a eu des tirs nourris. J’enregistrais une vidéo pour commencer une série sur la guerre du Liban, et j’ai été interrompue par le bruit. C’était une fusillade avec, entre autres, des bruits d’armes lourdes. A part l’armée libanaise et les forces de sécurité intérieure, il n’y a que Joumblatt, Berri et le Hezbollah qui ont de telles armes, les chrétiens ayant été désarmés.
Sur le moment, j’ai pensé à Joumblatt, puisqu’il était question du Chouf. J’ai cru à un début de combats, car c’est ainsi qu’ils commencent. J’avoue que j’ai tendance à rire sous les bombes, ce qui explique mon comportement dans cette vidéo.
4 juillet 2019:
Après que les récits des témoins oculaires et les vidéos aient été diffusés, et après que j’aie rencontré des personnes qui étaient là-haut (au Chouf, non loin de la tragédie), voici mon commentaire:
Il s’agissait d’une affaire entre druzes: cette fois, les chrétiens regardent. Mais la fusillade au Chouf était si inquiétante, d’après les vidéos et les témoignages oculaires, que les chrétiens n’ont pas osé prendre la route durant plusieurs heures, croyant que c’était encore un massacre de chrétiens commis par Joumblatt.
Des hommes, en cagoule ou non, avec des drapeaux rouges du parti de Joumblatt, attendaient sur la route le convoi du ministre druze qui a eu le “culot” — ironise un autre druze, l’ex-ministre Wiam Wahhab —, de ne pas demander la permission à Joumblatt de monter au Chouf, comme si c’était sa chasse gardée. (Je rappelle que sur les registres d’état-civil, 60% du Chouf est chrétien, et qu’une grande partie des druzes ne sont pas pro-Joumblatt).
Le ministre Gharib qui a osé monter au Chouf alors qu’il était druze non joumblattiste, en a été puni par le meurtre de son chauffeur et de son garde-du-corps. On dit cependant que le ministre était lui-même visé par la fusillade. J’attends des vérifications, mais des gens de là-haut m’ont dit que Gharib conduit parfois lui-même sa voiture et qu’il aurait probablement dû être la victime numéro un.
Il est un fait qu’après que la nouvelle loi électorale ait diminué le nombre de députés que Joumblatt peut avoir, rendant possible que les autres clans druzes puissent être représentés au Parlement, Joumblatt est moins fort. (La loi précédente avait été imposée sous l’occupation, pour avantager les collaborateurs.) Le ministre Gharib, Arslan et d’autres druzes ayant acquis une force qui affaiblit évidemment Joumblatt, dans une région où les druzes ont subi une dictature durant des décennies: d’après le témoignage d’un notable druze considérable, cheikh Farid Hamadé que j’ai traduit dans un de mes livres, Joumblatt a massacré des centaines de druzes pour pouvoir établir sa dictature au Chouf. On parle habituellement de massacres de chrétiens par Joumblatt, oubliant qu’il massacre aussi des druzes,.
Il a même appelé, il y a quelques années, à un génocide des druzes de Syrie parce que, comme toutes les minorités, ils défendent le régime, alors que Joumblatt sert les puissances islamistes. Or ces puissances qui enseignent la charia dans leurs écoles, veulent appliquer le principe premier de la charia, qui est que seul le sunnite peut gouverner le sunnite, quel que soit son nombre. Toutes les guerres qui ont eu lieu au Liban et en Syrie ont eu pour but de faire qu’il n’y ait que des sunnites au pouvoir en Orient. Les prétextes sont variés. Mais le vrai but des puissances qui financent l’islamisme dans le monde est de priver les minorités de tout pouvoir en Orient. Avant l’Occident.
Ils avaient trois pays dans leur collimateur:
– le Liban où ils se sont servis de la communauté internationale pour dépouiller les chrétiens de tout pouvoir en 1990;
– la Syrie où le processus contre les alaouites ou autres minorités que peut amener au pouvoir un parti laïque, est en cours;
– et enfin, “last but not least”, Israël, où il s’agit d’ôter le pouvoir aux juifs; mais cela, évidemment, ne peut se faire que par la violence. D’où le financement intensif de l’OLP, du Hamas et autres mouvements pouvant empêcher la paix. Et si on peut critiquer la politique israélienne depuis très longtemps, on ne peut pas nier que les Palestiniens soient utilisés comme un instrument pour faire la guerre religieuse: contre les alaouites en Syrie, contre les chrétiens au Liban, contre les juifs en Israël… Ils ont fait ainsi le malheur, non seulement de ces minorités, mais du peuple palestinien surtout.Pour en revenir à Joumblatt, il se présente à la presse occidentale comme étant le chef du “parti socialiste progressiste”, et tend un drapeau rouge à la communiste, mais il oublie de préciser qu’il est un seigneur féodal. Les druzes n’ont pas aboli le féodalisme quand les paysans chrétiens, au XIXe siècle, se sont révoltés contre les seigneurs, et ont aboli le servage. Et, comme vous le savez, le seigneur a droit de vie et de mort sur les serfs. C’est pourquoi Joumblatt tue si facilement. Ce qui m’étonne, c’est de voir les grandes puissances lui donner tant d’importance (et à son père avant lui) depuis des décennies. Est-il possible de favoriser ainsi un criminel de droit commun sans être complice de l’assassinat du pays sur lequel on l’aide à régner? Je n’oublierai jamais que, et alors que le sang de 3000 civils chrétiens au Chouf séchait à peine, Mitterrand recevait celui qui, au Liban, était un assassin hors-la-loi, et que ce hors-la-loi devenait, quelques jours plus tard, ministre avec son compère Berri.
Maintenant, et par la grâce des grandes puissances, ces deux hommes bloquent le pays pendant deux ans pour empêcher les chrétiens d’être représentés au pouvoir par le chrétien qui a eu le plus de voix aux élections, ce qui leur donnerait leur mot à dire……… Car, et encore que Berri soit chiite et que les chiites soient plutôt pro-chrétiens, il est clair que s’il avait refusé de participer au blocage, les chrétiens auraient été représentés par autre chose que des hommes faibles et n’ayant aucun député au parlement pour compenser la faiblesse dans laquelle se trouvent les chrétiens politiquement depuis 1990.
Ceci dit, les magouilles qui ont eu lieu pour permettre qu’un chrétien ayant un bloc parlementaire arrive au pouvoir, n’ont évidemment pas affaibli les mafieux qui ont été imposés au Liban par les puissances étrangères, et qui ont donné leur consentement… un consentement très chèrement vendu. Il fallait s’attendre qu’un adversaire politique de Joumblatt subisse une telle pluie de balles.
Malheureusement, seul l’affaiblissement des puissances qui font la force des mafieux pourrait en libérer le Liban, comme durant le siècle où c’était le seul pays sans guerre civile, sans émeutes confessionnelles, dans tout le Proche-Orient, et plus loin encore, durant toute a période entre m’argent des Ottomans 1961, et l’argent de Nasser en 1958.
Je ne désirerais le mal à personne, pas même à mon pire ennemi. Mais je vois qu’inéluctablement, ces puissances se dirigent vers ce sort qu’elles se sont tricotées à elles-mêmes. Et je suis la première à en être malheureuse, car je hais tellement la guerre que je voudrais voir la paix partout.
Lina Murr Nehmé
Pour comprendre ce qui se passe au Chouf, au Liban et au Moyen-Orient aujourd’hui, et pour réaliser dans quel sens s’exerce la politique anglo-saxonne (anglaise, puis américaine), il faut lire Quand les Anglais livraient le Levant à l’Etat islamique :