1989 fut l’année de la passation de pouvoirs entre le communisme et l’islamisme. L’Union Soviétique mettait fin à la guerre froide, et juste après, Ben Laden et ses amis décidaient de recycler leur infrastructure terroriste, financée, armée, aidée par les Américains pour servir d’arme de guerre contre les Russes, pour en faire un outil contre le monde non-islamique: ce fut la fondation d’al-Qaïda grâce à l’infrastructure de Ben Laden.
L’affaire du burkini est une nouvelle affaire du voile. Ces manifestations identitaires en France étaient pourtant inimaginables quand, en 1989, le Liban appelait la France au secours en disant à Mitterrand que l’affaire du voile qui secouait la France, engendrerait de bien pires affaires si le Liban n’était plus en état de défendre la liberté et le vivre-ensemble en Orient.
Le 29 octobre 1989, le Premier ministre Aoun envoya la lettre suivante à Mitterrand:
« Une défaite, ici, maintenant, ne sera pas sans conséquences, chez vous, demain. J’ai lu la semaine dernière que trois tchadors bouleversaient la France. Une des grandes affaires de notre siècle finissant sera, à n’en pas douter, la confrontation entre l’islam et la chrétienté. Il y aura dialogue, ou pas. Accepter la disparition du Liban, c’est se priver d’une terre où ce dialogue a été depuis longtemps plus qu’une réalité quotidienne, une culture constitutive… J’ai aujourd’hui un véritable problème de conscience. Vous avez, naturellement, été informé de l’essentiel des accords de Taëf. On me dit que la diplomatie française, comme celle de toutes les grandes puissances, est en faveur de leur mise en oeuvre très rapide. J’ai fait savoir publiquement que je n’avais aucune objection aux plans de réforme politique qu’ils comportent.
« En revanche, quand je lis les textes complets et les
formules censées s’appliquer à la restauration de l’indépendance libanaise, à la fin des occupations étrangères et à la définition des rapports futurs avec la Syrie, je suis profondément inquiet. Ai-je, encore une fois en conscience, après des années d’attente et de sacrifices, ai-je le droit d’accepter ces phrases qui consacrent le rôle de la Syrie, placent pratiquement tous les gouvernements sous son influence, donnent pour la première fois par écrit une justification à sa présence et à son action, avec uniquement pour son retrait des calendriers vagues et des engagements ambigus ? …
« Actuellement, la Syrie peut interpréter ce texte comme elle le veut. Les Libanais sont désarmés. On me demande des gestes de compréhension. Ils ne peuvent être dans ce contexte que des gestes d’abandon…
« Vous connaissez les circonstances de la réunion de Taëf et les pressions exercées. Les députés présents à Taëf n’ont pas reçu l’investiture du suffrage universel depuis 1972. Aucun Libanais de moins de 40 ans n’a pu voter pour eux. Ces députés peuvent-ils vraiment engager l’avenir du Liban ? »
Et quelle réponse Mitterrand envoya-t-il à Aoun?
Le 10 décembre, et alors que les Libanais manifestaient contre les députés élus par leurs parents et pour empêcher les Syriens d’envahir le palais présidentiel libanais, Mitterrand déclara avoir écrit à Aoun que Hraoui — élu par un Parlement périmé depuis 17 ans, au Park Hôtel de Chtaura, centre des services de renseignement syriens au Liban — était légitime : « La légitimité appartient au Président et au gouvernement issu du choix du Parlement, en application des accords de Taëf».
Qui était Mitterrand pour prétendre que dans une démocratie comme le Liban, la légitimité n’appartient pas au peuple, mais à ce qui reste du Parlement élu par la génération précédente, qui a empiété sur les prérogatives du gouvernement en négociant ce traité, qui a violé plusieurs articles la Constitution, commettant un crime de haute trahison en légalisant l’occupation d’une partie du pays?
La vérité est que l’Occident refusait aux Libanais des élections libres, car un Parlement représentatif aurait rejeté le document imposé à Taëf et mis les importations de pétrole en danger.
A rappeler une coïncidence de dates qui ne pouvait passer inaperçue dans des pays où on apprenait la Seconde guerre mondiale à l’école: les députés étaient arrivés à Taef à l’anniversaire du traité de Munich.
L’accord de Taef fut un nouvel accord de Munich. Le rôle d’Hitler, cette fois, était joué par le roi saoudien. Et celui de la Tchécoslovaquie, par le Liban. L’armée syrienne ne faisait que servir les Saoudiens, car, quand la Syrie se retira du Liban, les intrigues dans les coulisses se poursuivirent comme avant.
Lina Murr Nehmé, 29 octobre 2019