Liban : Amnistie pour les djihadistes et les criminels

L’Association des Juges Libanais vient de publier un communiqué disant que les députés libanais n’ont pas le droit de se réunir pour forger des lois, tant qu’ils n’en ont pas fini avec le Budget. Or ils se sont trouvés plein de lois à discuter dans l’immédiat, la plus grave de toutes étant celle, exigée par Saad Hariri, d’une amnistie générale des tueurs, des voleurs, qu’ils soient politiciens ou voleurs de grand chemin, mais aussi, des islamistes qui ont combattu contre le Liban, ou dont l’allégeance est simplement interdite, car ils se réclament du califat, ou d’al-Qaïda.

Seraient ainsi amnistiés et jetés sur le marché du crime, la bande d’Ahmed el-Assir qui bloqua Sidon et y fomenta une guerre contre l’armée libanaise, que celle-ci gagna — il y eut plusieurs morts. Serait libéré le père du Londonistan, le Syrien Omar Bakri Fustoq (photo), qui, devenu persona non grata en Angleterre, pourrait essayer d’exercer ses armes de prosélytisme djihadiste en France. Etc.

Pourquoi ces députés libanais sont-ils si pressés de décréter une amnistie générale? Tout simplement parce que les manifestants réclament des comptes et le retour de l’argent public volé, et qu’on leur a promis de les satisfaire. Si l’amnistie libère les voleurs de grand chemin, elle les libèrera aussi. Clic clac, le tour est joué!

Du même coup, ils imposeraient au pays ces djihadistes dont la capture a coûté tant de vies humaines — et dont la re-capture en coûterait tant d’autres.

Quel rôle jouent là-dedans les grandes puissances? Saad Hariri exige un gouvernement de technocrates, c’est-à-dire de gens apolitiques. C’est, paraît-il, l’exigence des puissances étrangères dont il redevient le fidèle serviteur. Vous rendez-vous compte de ce que cela veut dire? A Taef, les Saoudiens ont imposé aux députés libanais (imposé avec des menaces et des pressions financières) un traité selon lequel il y aurait plus de “justice” au Liban en pillant tous les pouvoirs présidentiels pour les donner au Cabinet. Ce Cabinet représentant les forces du pays. Mais si ce Cabinet ne représente pas les forces du pays — c’est-à-dire celles des grandes communautés — s’il représente seulement des hommes apolitiques dociles aux mains du Premier ministre, c’est donc que celui-ci a tous les pouvoirs, non seulement en pratique, mais en théorie aussi. Le Premier ministre qui représente une de ces forces, une de ces communautés, la sunnite. Non la partie des sunnites qui refuse l’Arabie Saoudite, mais l’inverse, puisque c’est avec de l’argent que les politiciens achètent les pauvres en leur donnant des services que l’Etat aurait dû leur donner. Et l’Arabie donne de l’argent. Des millions. Lisez les livres spécialisés ou les fuites de Wikileaks.

Donc tous les pouvoirs seraient aux mains de la communauté sunnite. Qu’il s’agisse de Saad Hariri ou de Leila Solh-Hamadé, ce sera pareil, car l’Arabie Saoudite a, pour le moment encore, le vent en poupe, et c’est elle qui désigne, de façon parfois outrageusement publique, les Premier ministres libanais. Le Liban n’est-il pas un pays occupé depuis le traité de Taef? Occupé militairement par la Syrie jusqu’en 2005, et politiquement par l’Arabie qui a ligoté peu à peu le Liban en lui imposant toutes sortes d’associations culturelles islamistes, à commencer par l’Alesco, en passant par l’Isesco, les droits de l’enfant musulman, etc. On parle des armes du Hezbollah, mais quid des armes palestiniennes? Les Palestiniens auraient le droit d’être armés au Liban, et les Libanais non? Pour l’Arabie Saoudite, oui. Elle a fait désarmer les chrétiens après Taef, mais non les Palestiniens, qu’elle considère comme sa milice sunnite personnelle face aux chrétiens. Or le nombre des combattants palestiniens armés est à peu près égal à celui des miliciens du Hezbollah. 

L’Arabie se sent tellement maîtresse du Liban, qu’elle ne ménage pas les formes, et ne ménage surtout pas l’amour-propre des Libanais. Se souvient-on de la conférence de presse où Walid Joumblatt raconta comment le roi d’Arabie lui avait dit qu’il pensait désigner Saad Hariri Premier ministre du Liban? Joumblatt lui répondit qu’Hariri n’irait pas et ne serait pas populaire. “Je propose Salam”, ajouta-t-il. Et le roi désigna Salam. Après la conférence de presse, je me suis dit: “Par pudeur, les gens du 14 mars devraient refuser.” Mais ils ont accepté, Hariri compris! 

Il faut signaler que ceux qui se donnent le nom de 14 mars, sont le parti pro-saoudien au Liban. Ils comptent le plus gros bloc parlementaire sunnite et le plus gros bloc parlementaire druze, ainsi que les plus petits blocs parlementaires chrétiens — c’est-à-dire les dhimmis. C’est avec ce bloc que l’Occident traite. 

Donc, quel que soit le Premier ministre, sa politique sera saoudienne. Donc à quoi bon discuter des mérites de tel ou tel candidat? Ces mérites n’ont aucun sens, puisqu’il va obéir aux ordres étrangers. Un peu comme Babrak Karmal en Afghanistan. 

Et à partir du moment où un tel homme dirige un gouvernement de technocrates, où les forces sur le terrain ne sont pas représentées (ou même un Cabinet à moitié technocrate à moitié politique, où ces forces ont les ailes rognées), c’est que le Premier ministre nommé par l’Arabie dans les coulisses ou ouvertement, sera un dictateur exécutant les ordres donnés par l’Arabie. 

Et devinez quel avenir l’Arabie veut pour ce Liban qu’elle considère comme sa propriété privée achetée pour deux milliards à Taef — ce Liban qui est la seule démocratie des pays dits arabes, le seul pays à avoir servi de barrage contre l’islamisme, et le seul pays de la région dont le Président soit chrétien? 

Je vous le donne en mille. 

Il faudrait tout de même que les populations qui veulent la liberté pour elles-mêmes, fassent un peu plus pression que cela sur leurs gouvernants qui ne pensent, au contraire, qu’à priver le Liban de liberté et de démocratie. Peuples, cela se fait dans votre dos. Mais la note, c’est vous qui la paierez et non Macron, Trump et les autres. Eux se sont assez enrichis, c’est vous qui vous appauvrirez à mesure que l’Arabie s’enrichira de la dépouille du dernier pays libre de l’ancien Orient d’avant l’islam.

En ce qui concerne la loi d’amnistie dont on parle, il est vrai qu’elle comporte beaucoup de clauses restrictives. Seraient exclus de l’amnistie, par exemple, les tueurs ou ceux qui ont appelé au meurtre, et donc aussi les terroristes islamistes.

Mais ceux qui réclament le plus cette loi ne sont pas les pauvres gens qui ont passé plus d’années à attendre leur jugement, qu’ils n’auraient eu d’années de prison à faire. Ceux-là, il est juste de les amnistier, même s’ils n’ont pas été jugés, puisqu’ils ont purgé leur peine ou davantage, et restent en prison injustement.

Le problème, donc, c’est que ce ne sont pas eux qui réclament: ils n’ont pas de moyens de pression pour cela. Ils n’ont pas de milices capables de mettre une ville à feu et à sang pour obliger l’Etat à les libérer, comme ont fait les islamistes en faveur du djihadiste Chadi Mawlawi (al-Qaïda), il y a dix ans ou davantage. J’ai raconté cela dans ma dernière vidéo arabophone. Elle montre le favoritisme dont bénéficiaient les islamistes sous le régime des Premier ministres d’après Taëf, même sous celui, prétendu modéré, de Mikati. Elle montre enfin, que l’amnistie générale avait déjà été décrétée à cette époque, non pour ceux qui étaient en prison pour le vol de très petites sommes, mais pour les islamistes ayant une connection avec les tueurs d’al-Qaïda à Nahr el-Bared.

Que la même loi soit présentée sous une autre forme, et avec tant de clauses restrictives, ne signifie pas qu’ils n’en bénéficieront pas. Déjà leurs partisans ont annoncé une grève générale à Sidon (photo) ou ailleurs — c’est-à-dire, si l’on se rappelle de tristes précédents, des pneus brûlés, de la casse, des coups, et même des meurtres.

Il en est de même des Bédouins du Hermel qui ont annoncé une manifestation pour demain. Eux aussi ont des meurtriers qu’ils veulent amnistier, menaçant l’Etat d'”actions” au cas où il exclurait leurs tueurs de l’amnistie. Et on sait l’esprit tribal qui vaut chez les Bédouins en général: “il faut les libérer parce qu’ils sont les nôtres”.

Il n’est même pas certain que les politiciens aussi soient exclus de cette amnistie. Comment voulez-vous que ceux qui militent le plus pour faire passer immédiatement cette loi — Hariri et Berri — se punissent eux-mêmes et punissent leurs hommes, tout en amnistiant les pauvres voleurs de 50.000 livres? Seraient-ils pris, soudainement, d’un grand repentir? Je crois au repentir dans le cas de l’ancien milicien chrétien Assaad Chaftari. J’y ai cru dans le cas d’Hariri, quand celui-ci a osé refuser de démissionner. Mais la suite m’a montré que je ne devais pas y croire dans son cas; et je n’y crois pas non plus dans celui de Berri. Ni dans celui de leurs compères, les anciens tueurs de guerre et les profiteurs qui ont mangé le pays comme une nuée de vautours, après Taef surtout. Feu Rafic Hariri était venu au Liban avec un milliard de dollars. Il est mort, d’après Forbes, à la tête d’une fortune de 16 ou 17 milliards. D’où sont-ils venus? Et la tentative de meurtre de Moustapha Saad, le rival électoral, qui tua tant de monde, fut aussi amnistiée. L’accusé, c’était Rafic Hariri. Ironiquement, il mourut de façon semblable.

Tous ces seigeurs et voleurs de guerre se sont auto-amnistiés en 1990. Même le génocide commis par Joumblatt fut amnistié, alors que les crimes contre l’humanité ne peuvent pas être prescrits d’après les lois internationales affichées par ces mêmes gouvernements qui nous l’ont imposé comme s’il était un parangon de démocratie à l’occidentale. Ces mêmes gouvernements qui refusent de traiter avec d’autres qu’avec les seigneurs de guerre, génocideurs, tueurs, voleurs et menteurs agréés par la Syrie et l’Arabie Saoudite (jusqu’à leur brouille). Et ces collaborateurs ne sont pas agréés pour leur abnégation envers le Liban, mais parce qu’ils acceptent de travailler contre leur propre pays.

Voilà pour la loi d’amnistie. Il faut se souvenir qu’on en parle depuis une dizaine d’années. Et que l’idée de départ était d’amnistier les islamistes (et non les pauvres qui ont volé parce qu’ils avaient faim).

J’ai publié il y a quelques jours une vidéo en arabe littéraire et en libanais pour raconter cette histoire d’amnistie des islamistes et non des autres, ainsi que les méthodes utilisées pour obliger le gouvernement à libérer les islamistes d’al-Qaïda. Et autres aberrations que nous avons vécues.

Pour l’anecdote, un ami Facebook avait appelé à descendre couper la route internationale pour exiger la libération des militaires emprisonnés, relâchés, et de nouveau emprisonnés pour satisfaire les islamistes. A un moment donné, l’armée, qui obéit aux ordres, même contre nous, a reçu l’ordre d’ouvrir la route par la force. Les soldats ont tous avancé en même temps. Mes compagnons ont tous reculé, sans quoi ils auraient été écrasés par les soldats en marche comme par un rouleau compresseur. Mais comme je ne suis pas le genre à reculer, je suis restée debout. Arrive devant moi un militaire très grand et très musclé, qui allait me renverser. Je lui dis: “Walaw, vous, grand comme vous êtes, contre moi, petite et maigre?” Il a eu l’air gêné et s’est arrêté. Entre-temps, un ami qui avait vu la scène avait accouru et s’était mis à lui crier dessus: “Vous n’avez pas honte? Vous auriez pu tuer la madame!” Le militaire répond avec le même ton: “Et vous ne me parlez pas avec autant de civilité qu’elle !” En bref, je ne suis pas morte, et je suis là pour vous le raconter.

Et voici la vidéo qui raconte ces tristes épisodes que les jeunes ne connaissent pas. Je recommande aux arabophones de la voir jusqu’au bout. Il paraît que c’est la meilleure que j’aie faite.

Lina Murr Nehmé, 11 novembre 2019


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